A. Exclusion sociale et liens de dettes/créances

Nous avons montré au cours du premier chapitre, en nous appuyant sur les travaux du Commissariat général du plan (1992), que le lien social est composé du lien à soi (estime de soi), du lien communautaire (la famille, les proches, etc.) et le lien sociétaire (les relations économiques et politiques). L’exclusion correspond au processus par lequel ces trois différents types de liens sont mis à l’épreuve, entraînant différentes carences ou privations se traduisant par un défaut d’intégration qui, pour nous, peut être assimilé à l’impossibilité de mener une vie sociale normale.

Nous avions alors rapproché cette définition de la grille de lecture de Sen (1993) qui analyse ces carences en termes de capabilités. Celles-ci correspondent à la possibilité pour les personnes de convertir des ressources (individuelles et collectives) en fonctionnements (façons d’être d’agir). L’exclusion sociale (la pauvreté chez Sen) tient alors à une pénurie de capabilités. Si l’on intègre à présent les acquis du chapitre précédent dans le cadre de l’approche développée par Sen, il est possible de reformuler la définition de l’exclusion sociale comme l’impossibilité de faire valoir ses droits et d’honorer ses obligations (liens de dettes/créances) qu’elles soient interindividuelles ou à l’égard du groupe dans son ensemble (dimension horizontale et verticale).

Sen (1993) distingue trois types de droits-obligations :

  1. les droits marchands qui correspondent à la possibilité de vendre sa force de travail et d’utiliser les ressources obtenus pour acquérir des biens et services ;
  2. les droits juridiques qui correspondent à la possibilité de bénéficier des biens publics (services publics, protection sociale, etc.)
  3. les droits « élargis » qui correspondent aux relations établies avec la famille et l’entourage proche.

Si on les rapproche des trois types de liens sociaux identifiés précédemment (Commissariat général du plan, 1992), les droits « marchand » et « juridique » s’apparentent aux liens sociétaires et les droits « élargis » aux liens communautaires. Toutefois, se limiter à l’impossibilité de mobiliser ces droits pour analyser l’exclusion sociale est radicalement insuffisant comme le laisse deviner l’absence du lien à soi dans le rapprochement précédent.