B. La mise en cause de l’estime de soi

Analysant le développement récent de l’insécurité sociale, Paugam (2005, 2007c) en souligne deux aspects qui font écho à la distinction établie par Pierre Bourdieu (1993) entre « pauvreté de condition » et « misère de position ». Le premier correspond à la perte de tout ou partie des supports sociaux mobilisables par les personnes pour assurer leur protection face aux aléas de la vie. Ces supports correspondent aux différents droits identifiés par Sen. Le second tient au développement « d’une infériorité socialement reconnue à l’origine de souffrance, voire de différentes formes de détresse psychologique, notamment la perte de confiance en soi et le sentiment d’inutilité » (Paugam, 2007c, p. 959). Il s’agit de la remise en cause de la reconnaissance définie par Paugam comme « expression de l’interaction sociale qui stimule l’individu en lui fournissant la preuve de son existence et de sa valorisation par le regard de l’autre ou des autres » (Paugam, 2007c, pp. 959-960). L’analyse du processus d’exclusion en termes de privation de droits ne peut donc faire l’économie de cette seconde dimension. C’est alors d’estime de soi et de lien à soi qu’il est question.

Sen (1993) l’intègre au travers de la dimension subjective des droits qu’il nomme les prétentions légitimes. Au-delà des conditions matérielles et institutionnelles, faire valoir ses droits dépend du jugement que l’on porte sur sa propre situation. Ainsi, dans le cas d’inégalités installées depuis longtemps, ceux qui en sont victimes peuvent finalement en venir à les considérer comme naturelles et s’y résigner. La prise en compte des prétentions légitimes suppose de faire intervenir l’estime de soi (lien à soi).

Celle-ci est en jeu au travers de la reconnaissance dans sa dimension horizontale mais également verticale au sens où l’organisation sociale assigne une place à tel ou tel groupe, place qui peut conditionner la mobilisation de certains droits. Ces dimensions horizontales et verticales sont également articulées par les trois types de droits identifiés. C’est ce qu’illustrent par exemple les droits « juridiques » au travers par exemple de la perception des minima sociaux. Ces droits et les liens qui les traduisent peuvent ainsi être considérés dans leur dimension horizontale en s’intéressant à l’interaction entre l’allocataire et le fonctionnaire qui suit son dossier. Mais ils peuvent également l’être dans leur dimension verticale en s’intéressant à la relation d’assistance, c'est-à-dire à la relation de protection entre la personne et l’État, expression du tout social. Pour évaluer la qualité des droits et liens afférents, il est nécessaire de considérer simultanément ces deux dimensions.