§1. Les liens sociétaires

Les difficultés bancaires peuvent affecter le lien sociétaire de deux manières principales : de manière directe lors de leur établissement et dans une moindre mesure dans leur évolution, de manière indirecte en réduisant les ressources monétaires qui sont mises en circulation.

A. Établir et entretenir les liens sociétaires : question de confiance

De par leur nature très différente, l’établissement de liens politiques (droits juridiques) ou économiques (droits marchands) n’est pas affecté de la même manière par l’existence de difficultés bancaires.

Les difficultés bancaires n’interfèrent pas dans l’établissement des liens politiques qui tient principalement à des critères de citoyenneté, de la situation au regard de l’emploi, du niveau des ressources, etc. En revanche, rencontrer des difficultés bancaires peut empêcher la conversion de ces droits formels en droits réels. Si l’on considère les minima sociaux – dimension protectrice des droits juridiques – l’absence de compte bancaire équivaut à ne pouvoir faire valoir ses droits dans la mesure où leur perception se fait obligatoirement par l’intermédiaire d’un compte depuis 1978.

En revanche, les liens de nature économique, les droits marchands, sont potentiellement extrêmement sensibles à l’existence de difficultés bancaires. Celles-ci peuvent jouer un rôle stigmatisant lorsque ces relations marchandes s’inscrivent dans la durée (la location par exemple) ou que le paiement intervient après la prestation. Face au risque de défaillance du demandeur, l’offreur prend en compte les diverses informations disponibles lui permettant d’en évaluer à moindre coût la solvabilité actuelle et future. Le degré d’investigation varie en fonction des sommes en jeu et les éléments concernés sont divers (statut professionnel, nature et niveau des ressources, etc.), toutefois, il apparaît que la situation bancaire est un indicateur particulièrement influant. Les banques étant supposées avoir une vision fine de la situation budgétaire de leurs clients, leur refus d’accorder certains produits, ou les sanctions qu’elles appliquent (interdiction bancaire), ne peuvent être qu’un signal négatif pour l’offreur.

En France, les personnes interdites bancaires ou ayant une procédure de surendettement en cours rencontrent ainsi de nombreuses difficultés pour louer un logement lorsque l’information est connue du loueur potentiel. Ces conséquences sont d’autant plus fortes que l’information sur les difficultés bancaires des personnes est aisément accessible aux différents prestataires comme c’est le cas dans les pays où cette information fait l’objet d’un d’une centralisation et/ou d’un commerce (encadré 12).

Encadré 12 : Disponibilité de l’information et conséquences sur les relations marchandes
Lors de l’étude menée pour la Commission Européenne sur la définition de l’exclusion bancaire (RFA, 2008), nous avons pu constater que les relations commerciales sont plus affectées par les difficultés bancaires chez nos voisins européens qu’en France. Cette différence s’explique par la plus large disponibilité de l’information en raison de l’existence d’établissements commerciaux centralisant et vendant cette information comme en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Les conséquences sont alors beaucoup plus fortes. En Allemagne par exemple, il est plus coûteux, voire parfois impossible, de souscrire un abonnement auprès d’un opérateur de téléphonie mobile si l’on est négativement noté par la SCHUFA qui est le principal établissement centralisant les informations bancaires sur les consommateurs. Aux États-Unis, les cabinets de recrutement mandatés par de grandes entreprises éliminent les candidats ayant été surendettés lorsqu’ils cherchent à pourvoir des postes d’encadrement. De même, s’inscrire dans une université américaine suppose que les parents de l’étudiant soient bien notés par les Credit Bureaus qui centralisent et vendent ce type d’informations. En effet, compte-tenu du coût des études, l’enjeu économique est significatif pour l’université elle-même qui cherche alors à se protéger d’éventuels mauvais payeurs.

L’établissement de relations commerciales est ainsi conditionné, de manière plus ou moins forte selon le degré de disponibilité de l’information, par l’existence de difficultés bancaires. Celles-ci peuvent nuire à l’établissement de relations de confiance au point de les empêcher. C’est ainsi l’accès au logement, à l’emploi, à l’éducation et à bien d’autres services économiques154 essentiels qui peut être affecté.

Que ce soit les droits marchands ou, dans une moindre mesure, les droits juridiques, l’existence de difficultés bancaires peut entraver leur disponibilité. En ce sens, elles en réduisent l’éventail et, partant, les ressources disponibles pour le développement des capabilités. Toutefois, ce n’est pas là leurs seules conséquences. Lorsque ces liens existent déjà, les difficultés bancaires peuvent en affecter l’efficacité.

Notes
154.

 Considérer l’éducation comme un droit économique est ambigu dans la mesure où Sen la considère comme relevant des droits juridiques. Nous n’avons pas fait la distinction ici dans la mesure où l’éducation supérieure prise en exemple dans l’encadré 12 est assurée par des établissements qui commercialisent leurs prestations.