B. Le lien à soi au cœur du processus d’appropriation

Ce qui se joue à l’occasion de l’appropriation, qu’elle soit monétaire ou bancaire, peut être reformulé de la manière suivante. Il s’agit du processus par lequel les personnes développent des pratiques leur permettant autant que possible de réduire l’incertitude portant sur leur capacité future à honorer leurs obligations et à faire valoir leurs droits, tout en respectant ou modifiant les modalités d’expression des relations que ces droits et obligations traduisent.

Mais si ce processus articule nécessairement les dimensions horizontales et verticales de la monnaie, Guérin (2000) souligne qu’il en intègre également une troisième : sa dimension réflexive, celle du lien à soi. C’est d’autonomie qu’il est alors question. En effet nous dit-elle : « cette troisième dimension ne fait que découler des deux précédentes puisque l’autonomie est indissociable, nous l’avons vu avec Sen, de l’ensemble des droits et des obligations contractés à l’égard de ses pairs et à l’égard du groupe social dans son entier » (Guérin, 2000, p. 81).

C’est que les capabilités dépendent des prétentions légitimes de chacun : elles sont liées à l’évaluation subjective faite des droits et obligations dans lesquels chacun est impliqué. En effet, selon son histoire, son vécu, chacun interprétera d’une manière particulière ce à quoi il a droit, quels sont les comportements qu’il peut adopter. Autrement dit, l’éventail des capabilités d’une personne repose en partie sur le lien à soi.

Il en découle logiquement que si au travers des pratiques monétaires qui résultent du processus d’appropriation, les prétentions légitimes ou l’estime de soi conditionnent la réduction de l’incertitude et l’expression de l’appartenance sociale, en retour, la réduction de l’incertitude et l’expression de l’appartenance sociale influent sur l’estime de soi et les prétentions légitimes. Dans son travail portant sur les femmes en situation de précarité, Guérin (2000) montre que le statut « d’assisté social » est ainsi potentiellement facteur de mise en cause de l’estime de soi et donc des prétentions légitimes. Il est alors plus difficile pour ces femmes de faire valoir des droits qu’elles ne se représentent pas comme totalement légitimes.

En matière bancaire, la mécanique est tout à fait similaire. Les difficultés bancaires sont potentiellement porteuses d’une remise en cause de l’estime de soi et donc des prétentions légitimes dans la mesure où elles viennent perturber la réduction de l’incertitude et l’expression de l’appartenance sociale. Il est alors plus délicat pour les personnes concernées d’honorer leurs obligations sociales et de faire valoir leurs droits.