C. Articulation des différents types de lien

En affectant l’estime de soi, les difficultés bancaires altèrent les prétentions légitimes des personnes concernées. Celles-ci modifient alors l’évaluation qu’elles font de leurs droits et obligations et de leur conversion en fonctionnements.

Les conséquences des difficultés bancaires liées à la « honte de la sollicitation » sur les liens communautaires (couple, famille, amis) vues précédemment prennent alors un sens plus complet. La mise en cause de l’estime de soi engendre des difficultés de conversion des droits « élargis » en affectant les prétentions légitimes des personnes. Le même mécanisme est à l’œuvre en matière de droits marchands ou juridiques. Ainsi observe-t-on des personnes en situation objective de surendettement pour lesquelles le sentiment de honte conduit à ne pas solliciter les possibilités offertes par les procédures de surendettement. Elles préfèrent en effet continuer à rembourser ce qu’elles considèrent comme étant leurs « dettes » au détriment de leurs dépenses quotidiennes (alimentation, santé, etc.). Ici, ce sont simultanément les droits juridiques et marchands dont la conversion est affectée.

Au côté des conséquences directes sur les liens communautaires et sociétaires vues précédemment, les difficultés bancaires ont également des conséquences indirectes par l’intermédiaire de leurs effets sur le lien à soi. Inversement, la dégradation des liens communautaires et sociétaires en raison de difficultés bancaires produisent également des conséquences sur le lien à soi. Ces trois types de lien sont donc bien en interaction : l’affaiblissement de l’un affecte potentiellement les deux autres.

À partir de ces éléments et pour rendre plus claire encore leur articulation, il est possible de proposer une représentation schématique du processus d’exclusion sociale dans lequel s’inscrivent les difficultés bancaires (Schéma 6). Pour cela, nous sommes partis des données sur le surendettement (Banque de France, 2005) qui montrent que 75 % des situations de surendettement ont pour origine un « accident de la vie ». La logique est donc sensiblement différente de ce que nous avons décrit jusqu’à présent dans la mesure où une rupture initiale affectant l’un des trois liens vient déclencher le développement des difficultés bancaires. Cette rupture peut porter sur le lien à soi (maladie, dépression, etc.), le lien communautaire (divorce, séparation, décès du conjoint, etc.), ou le lien sociétaire (perte d’emploi, irrégularité des ressources, etc.).

Nous avons ensuite articulé ces éléments avec les travaux de Dominique Desjeux (2000a, 2000b) et de Geslot (1997) sur les parcours de vie des SDF qui mentionnent, sans les développer, le rôle des difficultés bancaires au travers de leurs manifestations que sont l’interdiction bancaire et le surendettement. Cela nous permet de dérouler complètement le processus qui va d’une perte d’emploi par exemple à une situation de grande exclusion.

Le graphique se compose de deux principales zones :

  1. la zone 1 correspond aux conséquences des difficultés bancaires sur les différents liens telles que nous les avons décrites jusqu’à présent. C’est pour cette raison que la flèche A est bidirectionnelle : un accident de la vie provoque le développement de difficultés bancaires qui en retour produisent les conséquences négatives analysées précédemment. Il peut alors y avoir la formation d’un cercle vicieux favorisant le basculement de la situation.
  2. La zone 2 correspond à l’accélération du processus d’exclusion sociale après ce basculement matérialisé par la perte du logement considérée comme l’élément clef dans ce processus (Geslot, 1997 ; Desjeux, 2000a et b). Après cette étape, il devient beaucoup plus délicat d’inverser la tendance à l’œuvre. La flèche B souligne que cette partie du processus d’exclusion sociale continue de pouvoir être lue avec la grille de lecture des capabilités dans la mesure où à chaque étape la question de la conversion et de l’évaluation subjective des droits se pose.

Il apparaît alors que l’élément clef dans le processus d’exclusion bancaire se trouve être les difficultés de conversion des droits dans le domaine bancaire. C’est à ce niveau que se développent les difficultés bancaires qui vont aggraver le déséquilibre initial et faire basculer une situation délicate vers l’exclusion sociale.

Schéma 6 : Processus d’exclusion et articulation des liens à soi, communautaire et sociétaire
Schéma 6 : Processus d’exclusion et articulation des liens à soi, communautaire et sociétaire

Source : Élaboration personnelle.

Comprendre pourquoi certaines personnes basculent dans l’exclusion bancaire puis sociale à la suite d’un accident de la vie alors que d’autres parviennent à maintenir leur situation stable suppose d’aller plus avant dans l’analyse du lien à soi, de l’estime de soi et de la conversion des ressources en fonctionnements.