A. Un facteur de contrôle social ?

Le premier type de conséquences porte sur le rôle des banques comme facteur de contrôle social. Ce type de critique est présent depuis le XIXe avec les figures marquantes de Proudhon (Vallat, 1999), Marx (1969) ou Baudrillard (1968, 1972). Ils dénonçaient respectivement la diffusion de l’épargne et du crédit au sein des couches populaires mais partageaient le constat selon lequel elle avait pour effet d’affaiblir la volonté des classes dominées de remettre en cause l’ordre social qui profitaient aux détenteurs du capital. Bien qu’ayant perdu en vigueur contestataire, cette lecture des effets de la diffusion des produits financiers se retrouvent au travers de la dénonciation des modalités d’évaluation des clients par les banques.

Par souci d’économie, les établissements financiers recourent très largement aux analyses de base de données pour créer des profils de clients selon leurs caractéristiques socioéconomiques et leurs modes de consommation. Ces profils généraux permettent par la suite de classer les clients potentiels et de définir les conditions de l’offre qui leur sera faite ou non. Leyshon et Thrift (1999) montrent que ces technologies provoquent le rétrécissement de l’identité et la limitation des choix offerts à chacun sur la base de profils imparfaits.

Cela se traduit par une réduction des capabilités en raison d’une diminution des ressources disponibles (produits et informations) pour évaluer les alternatives envisageables. En effet, « when the content of both news and advertising available to me is first filtered through a set of suppositions about what I "really want" as a member of some group, in an important sense, I have lost control of my life, and am no longer able to make free and informed decisions » (Curry, 1997, p. 694, cité par Leyshon & Thrift, 1999, p. 456).

Mais cette réduction des capabilités est également due à la dégradation des conditions de l’offre faite au client, voir à son exclusion, s’il appartient à un profil jugé par l’établissement comme peu ou pas crédible économiquement. C’est notamment le cas en France pour l’accès au crédit revolving des personnes ayant un parcours marqué par ce qui est considéré comme de l’instabilité qu’elle soit professionnelle (changement fréquent d’employeur) ou résidentielle (déménagements réguliers). Ces éléments étant statistiquement liés avec un niveau de risque supérieur à ce qu’acceptent les établissements, les personnes présentant ces caractéristiques auront beaucoup de mal à accéder au crédit quand bien même leur niveau de ressources leur permettrait d’y prétendre.

Il en découle que les règles et normes d’accès et d’usage des produits bancaires, ressources essentielles pour l’expression des capabilités, ne sont pas tant liées au projet individuel qu’à la proximité entre les éléments d’information dont dispose l’établissement sur le client et les profils statistiques qu’il a élaboré. Si ces technologies s’avèrent protéger efficacement du risque les établissements bancaires, on conçoit à la suite de ces auteurs qu’elles pénalisent collectivement les groupes sociaux partageant certaines caractéristiques négativement évaluées, et individuellement les personnes aux profils atypiques ne permettant pas de les rapprocher d’un profil connu. Seules les personnes présentant des caractéristiques les faisant appartenir à la norme se voient proposer des conditions permettant leur pleine participation sociale.

En privilégiant, les profils qui ont fait leur preuve, les établissements bancaires jouent comme une force conservatrice au détriment de nouveaux modes de vie ou de nouvelles situations sociales. Les difficultés bancaires que rencontrent les familles recomposées dans l’accès au crédit ou celles qui accompagnent « l’institutionnalisation du précariat » (Castel, 2007) en sont l’illustration. On devine alors le deuxième type de critique : les établissements bancaires favorisent le maintien voir l’aggravation des inégalités sociales.