B. L’asymétrie d’informationex post et l’aléa moral

Si les variations du taux d’intérêt ne peuvent permettre de réguler le marché du crédit, c’est également en raison de l’existence du risque d’aléa moral175. Alors que précédemment, le niveau du taux d’intérêt affectait le niveau de risque des projets présentés aux prêteurs, il influence ici le comportement de l’emprunteur une fois le prêt accordé (risque d’aléa moral). Plus le taux d’intérêt est élevé, plus l’emprunteur (qui cherche à maximiser la rentabilité de son investissement), sera tenté d’adopter un comportement risqué augmentant du même coup son risque de faillite. Cet accroissement du risque affecte négativement le rendement espéré du prêt par la banque.

L’adoption d’un tel comportement est permise par l’existence d’une asymétrie d’informationex post. En effet, sachant que le prêteur ne s’intéresse au comportement de l’emprunteur que dans les cas où celui-ci affecte sa probabilité de faire faillite, et qu’il ne peut le surveiller parfaitement et sans coût, il n’est pas envisageable de mettre en œuvre une telle surveillance de manière systématique. Le prêteur doit donc être attentif aux effets du taux d’intérêt sur le comportement de l’emprunteur. En raison du risque d’aléa moral, face à un accroissement de la demande de crédit, les prêteurs auront alors intérêt à rationner la demande supplémentaire plutôt que d’augmenter le taux d’intérêt.

Parallèlement à cela, Stiglitz et Weiss montrent également que le recours aux collatéraux (les cautions, investissements personnels, etc.) ne permet pas non plus de résoudre les problèmes posés par les asymétries d’informationex ante et ex post. En effet, ceux disposant de plus de collatéraux sont les emprunteurs les plus riches supposés les moins averses au risque. Augmenter les collatéraux aura donc pour effet d’attirer les emprunteurs les plus risqués. Les prêteurs n’ont donc d’autre choix que de déterminer un niveau de collatéral d’équilibre et de rationner la demande supplémentaire.

Par leur modèle, Stiglitz et Weiss montrent comment l’introduction de l’asymétrie d’information met en échec l’ajustement du marché par le prix. D’une part, le prix (ici le taux d’intérêt) n’est plus une information suffisante sur la qualité du produit échangé (des crédits de qualité différente peuvent avoir le même prix) et d’autre part, il influe sur la qualité du produit (la variation du taux modifie le comportement des emprunteurs et donc la qualité du crédit). Ils expliquent ainsi la possibilité de marchés en situation d’équilibre coexistant avec un rationnement de l’offre ou de la demande. Ce résultat essentiel pour la théorie économique cohabite cependant au sein de leur article avec la mise au jour de mécanismes déterminants pour la compréhension des enjeux du marché du crédit inégalement soulignés.

Notes
175.

C’est Arrow (1963) qui a le premier considéré le problème de l’aléa moral en économie. S’interrogeant sur la possibilité de concevoir un système d’assurance efficace, il propose la mise en place de contrats d’assurance qui prémunissent les assurés contre l’ensemble des aléas auxquels ils pourraient être confrontés. Ces contrats complets ou contingents dans le sens où ils sont contingents aux différents états du monde possibles, intègrent également le comportement de l’autre dans la mesure où celui-ci a une influence sur la réalisation des différents états du monde possibles. Ils permettent ainsi d’évacuer l’incertitude et d’étendre le modèle d’équilibre général mais suppose l’introduction de la justice, qui doit pouvoir vérifier les termes du contrat, et les faire appliquer (Rivaud-Danset, 1996 ; Moureau & Rivaud-Danset, 2004). L’irréalisme de la théorie des contrats contingents (en raison de leur coût) a été vivement critiqué notamment par Williamson (1983) et Hart et Homström (1987).