§2. La compréhension d’enjeux inégalement exploités

Si nous nous attardons sur la présentation du modèle de Stiglitz et Weiss de 1981 alors que nous serons beaucoup plus brefs concernant les modèles postérieurs, c’est parce qu’en dépit du dépassement de leurs résultats, il conduit à des questionnements essentiels pour la compréhension des enjeux de l’activité de crédit.

Ces questionnements portent sur les éléments qui jouent un rôle sur la qualité du produit, autrement dit – dans le cadre de ce modèle – sur la potentialité que le crédit soit remboursé ou non. Sachant qu’il s’agit là du cœur de l’incertitude existant au sein de l’activité de crédit, il est essentiel de bien les identifier et ce en termes généraux, c'est-à-dire détachés des réponses apportées par Stiglitz et Weiss. En effet, ces dernières sont dépendantes des hypothèses comportementales et environnementales retenues (encadré 24) qui seront remises en cause par la suite.

Encadré 24 : Quatre hypothèses de base de l’analyse des relations de crédit
Il est possible de considérer que les différences entre les différents modèles d’analyse des relations de crédit reposent principalement sur quatre hypothèses initialement retenues :
- L’asymétrie d’information (hypothèse environnementale)
Cette hypothèse induit que l’un des acteurs ne peut pas avoir accès à une information détenue par l’autre. Dans les modèles de l’économie bancaire, le prêteur ne peut pas observer la qualité du projet de l’emprunteur lors de sa demande de crédit (asymétrie d’information ex ante) ni son comportement une fois le prêt accordé (ex post). L’emprunteur ne fait pas face à une incertitude sur la qualité du crédit. En revanche, dans les modèles où la relation de crédit est amenée à se répéter, il peut faire face à une incertitude sur le comportement futur du prêteur.
- L’opportunisme des acteurs (hypothèse comportementale)
Cette hypothèse signifie que les acteurs peuvent dissimuler des informations et agir contre l’intérêt de l’autre dans la mesure où ce comportement maximise leur intérêt. Si l’on retient l’hypothèse d’opportunisme systématique, il n’est plus possible de recourir à la confiance pour assurer la coordination des acteurs.
- La nature de la rationalité (hypothèse comportementale)
La rationalité des acteurs de la relation de crédit peut être substantielle ou limitée. Dans le premier cas, les acteurs sont à même de prévoir tous les états futurs du monde possibles et d’anticiper les différents choix de l’autre. Il est alors possible de définir des contrats tenant compte des asymétries d’information mais permettant la réalisation de la relation. Le résultat découle mécaniquement des caractéristiques initiales de ces contrats. Lorsque l’on abandonne l’hypothèse de rationalité substantielle pour celle de rationalité limitée, les acteurs ne sont plus en mesure de définir de tels contrats. Il faut alors faire appel à d’autres éléments pour permettre à la relation de se dérouler (hiérarchie, réputation, etc.). De plus, le fait que la rationalité soit envisagée uniquement du point de vue de la maximisation de l’intérêt individuel à l’exclusion des dimensions éthiques et sociales, appauvrit la compréhension des mécanismes de la relation de crédit.
- La nature de l’information disponible (hypothèse environnementale)
Cette hypothèse est destinée à permettre le maintien de la modélisation. Pour rendre possible le calcul, il faut en effet disposer d’informations objectives. Les informations subjectives (le jugement) ne peuvent être intégrées car elles dépendent de la subjectivité de leur auteur et ne peuvent être quantifiées. Le choix de ne considérer que les informations objectives conduit à donner une lecture contestable d’un élément comme la réputation ou à analyser ce qui se joue dans les échanges entre prêteurs et emprunteurs de manière restrictive.

Par contre, ces questionnements resteront présents dans les différents modèles qui suivront (à des degrés très différents), et, pour nous, s’avèreront extrêmement précieux pour la compréhension des mécanismes produisant les difficultés bancaires que rencontre une partie de la population.