C. Caractéristiques de l’offre et qualité du produit : la question de l’adéquation

« The reason we have been able to model excess demand and supply equilibria in credit markets is that interest rate directly affects the quality of the loan in a manner which matters to the bank » (Stiglitz & Weiss, 1981, p. 409). En concluant ainsi leur article, Stiglitz et Weiss réaffirment un élément central des relations de crédit : les caractéristiques de l’offre (ici, le taux d’intérêt) influent sur la qualité du produit (la probabilité que le prêt soit remboursé ou, inversement, son niveau de risque). Implicitement, la notion abordée ici est celle de l’adéquation entre les caractéristiques de l’offre et ses conséquences d’un côté et les objectifs visés de l’autre.

Dans le cadre du modèle de Stiglitz et Weiss, l’inadéquation des caractéristiques de l’offre n’est envisagée qu’au regard des objectifs de l’emprunteur. La maximisation de son profit (objectif visé) peut être compromise par le niveau du taux d’intérêt (caractéristique de l’offre) en raison de ses effets sur le comportement de l’emprunteur (conséquence de ces caractéristiques). De son côté, l’emprunteur étant omniscient, il décide en connaissance de cause de prendre davantage de risque lorsque le niveau du taux d’intérêt s’élève. De son point de vue, il n’y a donc pas inadéquation des caractéristiques de l’offre au regard de ses besoins.

L’abandon de l’hypothèse extrêmement forte de rationalité substantielle permet de donner tout son sens à la notion d’adéquation de l’offre. Ainsi, Oliver Williamson (1986), adoptant l’hypothèse de rationalité limitée, explique l’accroissement du risque de faillite lié à l’augmentation du taux d’intérêt, par la hausse des coûts que l’emprunteur supporte (coûts de contrôle, coûts de faillite, etc.). Ce n’est pas son comportement qui est en cause mais bien l’inadéquation de l’offre.

Dans la mesure où l’emprunteur n’est pas omniscient, il n’est pas à même d’évaluer parfaitement l’adéquation des caractéristiques du crédit à ses propres besoins. Il est donc à son tour confronté à une incertitude. Dès lors, en lui proposant des conditions inadaptées, le prêteur accroît son risque de faillite. Il porte ainsi potentiellement une part de responsabilité en cas de faillite de l’emprunteur. D’une part, le niveau de risque du projet peut être accru par les caractéristiques du crédit lui-même (principalement son coût). D’autre part, cette inadéquation peut conduire l’emprunteur à adopter un comportement plus risqué précisément pour tenter d’y faire face.

Par leur article, Stiglitz et Weiss mettent en évidence que le niveau du taux d’intérêt fait varier le niveau de risque des projets financés par la banque. Ils l’expliquent par la sortie du marché des emprunteurs faiblement risqués (sélection adverse) mais également par la modification du niveau de risque de chaque projet (aléa moral). Ce niveau de risque n’est donc pas une donnée objective : un même projet aura différents niveaux de risque selon les caractéristiques de l’offre de crédit. La cause retenue par les auteurs en est la modification du comportement de l’emprunteur, mais l’on pourrait également considérer l’inadéquation des caractéristiques du crédit qui affecte à la baisse la probabilité de réussite du projet. Les deux auteurs n’explorent pas cette dernière possibilité en raison des hypothèses retenues et se concentrent sur la sélection adverse et l’aléa moral. Ce faisant, ils posent les bases des différents modèles de l’économie bancaire qui suivront : ceux-ci analyseront alors les caractéristiques de la relation de crédit uniquement au regard de leurs bénéfices face à ces deux types de risques.