B. Inciter les emprunteurs pour dépasser le risque d’aléa moral

Outre la théorie des contrats contingents présentée précédemment, une autre voie de recherche destinée à prendre en compte le risque d’aléa moral est celle empruntée par la théorie de l’agence en recourant aux contrats incitatifs.

Une relation d’agence est définie par Michael Jensen et William Meckling comme « un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engage une autre personne (l’agent) pour exécuter en son nom une tâche quelconque qui implique une délégation d’un certain pouvoir de décision à l’agent » (1976, cité par Coriat & Weinstein, 1995, p. 93). L’agent peut agir de manière préjudiciable aux intérêts du principal, sans que ce dernier ne puisse observer la réalité de ce comportement (aléa moral).Appliquée à la relation de crédit, le prêteur est le principal et l’emprunteur l’agent dans la mesure où ce dernier détient l’information et met en œuvre le projet à financer. Le conflit d’intérêt porte donc sur le comportement de l’emprunteur qui n’est pas observable sans coût par le prêteur, et qui peut s’avérer plus risqué qu’initialement annoncé ou se traduire par la diffusion à la banque de résultats volontairement sous-estimés.

Le défi pour le prêteur est de parvenir à proposer un contrat de prêt conduisant l’emprunteur à adopter un comportement qui aille dans son intérêt. Ces contrats incitatifs ont fait l’objet de différentes modélisations. Robert Townsend (1979) propose qu’en cas d’échec du remboursement, l’entreprise financée passe sous contrôle de la banque. Douglas Diamond (1984) élabore un contrat qui mixe un intérêt fixe, une menace de faillite et éventuellement la perte de garanties. Enfin, Douglas Galle et Martin Hellwig (1985) recourent également à la menace de mise en faillite comme source d’incitation. Dans ce dernier modèle, tout comme dans le précédent, le plan de remboursement ne dépend pas du résultat du projet car cela « inciterait l’emprunteur à déclarer le résultat auquel correspond le versement le plus faible et obligerait la banque à des vérifications coûteuses. C’est seulement lorsque le remboursement de la technologie est trop faible pour couvrir le remboursement fixé que l’investisseur observe le résultat et cette observation s’identifie à la faillite » (Rivaud-Danset, 1996, p. 941).

Les différents modèles traitant de l’asymétrie d’informationex ante et ex post que nous avons succinctement présentés ont tous en commun de ne porter que sur des relations de crédit sur une seule période (la relation s’interrompt avec le remboursement du prêt), ce qui affaiblit les raisonnements développés. Stiglitz et Weiss (1986) font ainsi un double constat d’échec des « menus de contrat ».

D’une part, l’accroissement des garanties exigées favorise les riches qui entreprennent des projets plus risqués. Les banques sont alors confrontées à un problème potentiel de sélection adverse. D’autre part, l’emprunteur étant omniscient, il peut déjouer les dispositifs destinés à le sélectionner (les riches se feront passer pour pauvres). Cela rend « inopérants les repères mis en place pour le classer comme un objet, le traiter comme un risque » (Rivaud-Danset, 1995, p. 234). Les banques n’ont donc d’autres solutions que de rationner la demande. Il est alors utile de considérer les relations de crédit dites de long terme dans la mesure où elles remettent en partie en cause la validité de certaines hypothèses retenues dans les modèles précédents, mais également parce qu’elles donnent plus de poids aux dispositifs destinés à limiter le risque d’aléa moral.