Chapitre 5. De l’incertitude de la relation de crédit à l’incertitude de la prestation de services bancaires

Introduction du chapitre 5

L’existence de l’incertitude exerce une influence déterminante sur la structuration de la relation de crédit. Si elle prend la forme de relations de long terme, c’est précisément pour tenter de neutraliser les difficultés posées par les différentes formes d’incertitude auxquelles sont confrontés prêteurs et emprunteurs.

L’analyse des modèles de l’économie bancaire et des travaux de sociologie économique consacrés au crédit a montré qu’en dépit de leur étude poussée des avantages et inconvénients de ces relations inscrites dans la durée, leurs auteurs laissent dans l’ombre une source essentielle d’incertitude soulignée par Karpik (1989) : celle portant sur l’opacité du produit.

En ne considérant pas cette source d’incertitude, ces théories peuvent faire l’économie des questionnements portant sur la définition de ce que recherchent précisément les emprunteurs lorsqu’ils s’adressent aux prêteurs. La réponse est simple : un crédit. Lorsque l’on admet que le crédit n’est pas un produit standard, qu’il demande à être adapté aux besoins spécifiques du client, et que le client n’a pas forcément les compétences ou la possibilité d’évaluer précisément les caractéristiques des produits qui conviendraient le mieux à sa situation, les choses se compliquent sérieusement.

L’une des hypothèses centrales qui guident notre travail, est précisément que l’inadéquation entre les caractéristiques de l’offre bancaire et les besoins de certains clients, explique l’apparition de difficultés alimentant le processus d’exclusion bancaire. L’incertitude sur l’opacité du produit est donc au cœur de notre problématique. Cependant, pour en développer les tenants et aboutissants, il est préalablement indispensable de définir ce qu’est ce produit. Pour cela, nous allons bâtir une grille de lecture spécifique en termes de prestation de services bancaires.

Cet outil d’analyse se distingue de l’approche adoptée par l’économie bancaire ou les sociologues du crédit par une entrée qui ne se fait pas par le produit bancaire défini a priori mais par sa définition au regard des attentes et moyens des parties prenantes.

Trois principaux éléments seront remis en question afin de permettre, par la suite, de prendre en compte les différentes sources d’incertitude, de comprendre les moyens de leur réduction mis en œuvre par la banque mais aussi par les clients, et donc les mécanismes qui produisent les difficultés potentiellement sources d’exclusion bancaire.

Tout d’abord, nous saisissons l’offre bancaire non pas de manière fragmentée mais de manière globale. Nous ne nous intéressons pas à un produit pris isolément (comme le crédit dans le cas des modèles de l’économie bancaire présentés précédemment), mais à l’articulation des différents produits dans le but de satisfaire les besoins des clients.

Ensuite, nous abandonnons le postulat selon lequel le client a une parfaite connaissance du service bancaire dont il a besoin. Cela peut-être le cas mais en faire un postulat laisse dans l’ombre la majorité des situations pour lesquelles l’expertise du banquier est nécessaire pour guider le choix du client. Ce sont précisément ces situations qui peuvent conduire à l’apparition de difficultés bancaires.

Enfin, nous considérons que la qualité du produit ne peut pas s’évaluer en dehors de la prise en compte des attentes des acteurs de la prestation. Par exemple, le remboursement du crédit ne garantit pas que la prestation proposée par la banque soit de bonne qualité, c'est-à-dire qu’elle satisfasse le client. Si un prêt personnel est remboursé par le recours à un crédit revolving, le premier crédit est bien remboursé ce qui satisfait la banque qui l’a octroyé, pourtant la difficulté est toujours présente pour le client.

L’objectif de ce chapitre est donc de substituer à la convention de recherche issue de l’économie bancaire définissant la banque comme un intermédiaire financier dont la finalité est de faire du crédit, une nouvelle qui considère la banque en tant que prestataire de services bancaires dont les fonctions seront progressivement mises en lumière. Pour cela, il est tout d’abord nécessaire d’analyser en quoi il est empiriquement légitime de remettre en cause les éléments de compréhension de l’activité bancaire utilisés par l’économie bancaire (section 1). Il est alors possible de bâtir notre grille de lecture alternative en termes de prestation de services bancaires (section 2). Pour cela, nous nous baserons sur les travaux de Gadrey (1994a, 1996, et 2003) qui offrent un cadre analytique pour les services particulièrement élaboré. Nous appliquerons ce cadre au cas bancaire et à ses spécificités. Le but est de parvenir à mettre en lumière ce qu’est le « produit » de la prestation de services bancaires et ainsi de comprendre la nature de l’incertitude à laquelle font face banquiers et clients (Section 3).