B. La transformation ou output

La phase de transformation se caractérise par l’utilisation des « quasi-produits » bancaires pour intervenir sur le budget du client : ouverture d’un compte, réalisation d’un virement, octroi d’un crédit par exemple. En raison de la nature marchande de l’activité bancaire et des modalités de tarification appliquées ainsi que de l’hypothèse d’opportunisme des agents, les modèles de l’économie bancaire se limitent à ces aspects et ignorent le rôle joué par les compétences mises en œuvre par le prestataire. En leur absence, les « quasi-produits » bancaires perdent pourtant leur utilité, la singularité des besoins des clients ne pouvant être prise en compte par des systèmes standardisés. La production des effets utiles qui découlent de la transformation, suppose donc leur articulation avec l’analyse et les conseils du banquier et les éléments apportés par le client (informations et utilisation des quasi-produits).

Comme le souligne Gadrey (1996) : « L’offre de services (au moins en ce qui concerne les exemples précédents [(dont la banque fait partie)] est une offre de compétences, à utiliser au mieux par des clients divers pour des opérations diverses que l’on ne parvient pas à « incorporer » dans des produits standards parce que les problèmes à traiter excluent un tel formatage (ou parce que la standardisation du traitement jouerait négativement sur la qualité de la réponse) » (p. 283, souligné par nous).

Le rôle du conseil apporté par le prestataire bancaire est particulièrement évident lorsque l’on considère le cas où le banquier refuse d’accéder à la demande d’un client. Face à une demande de crédit, le banquier peut être amené à expliquer à son client que sa demande n’est pas compatible avec sa situation budgétaire et qu’il risque d’être rapidement confronté au surendettement. Nous ne discuterons pas ici de l’efficacité de telles mises en garde ni même, parfois, de leur bien-fondé. Par contre, il importe de souligner que ce refus ne fait l’objet d’aucune opération recensée. Le temps que le banquier a consacré à son client, les conseils qu’il a pu lui prodiguer et la stratégie bancaire qu’ils ont pu définir conjointement à cette occasion, ne font pas partie de son activité observée à travers le prisme de la productivité. Pourtant, s’il n’y a pas de changement d’état de la réalité S (aucun produit bancaire n’a été vendu), il y a néanmoins prestation de services, mais de « services préventifs » (Gadrey, 1996), dans la mesure où les conseils dispensés ont potentiellement permis d’éviter la dégradation du budget du client204.

Insister sur l’importance du conseil permet de souligner un élément essentiel de la transformation ignoré par les modèles de l’économie bancaire : le client est à la fois acteur et sujet de la prestation de services bancaires. Il est acteur car il participe à la définition de l’output par les informations qu’il donne, les conditions qu’il négocie, et les décisions qu’il prend. Mais il est également sujet car les conseils qui lui sont ou non prodigués influencent ses décisions puis l’usage qu’il fera des « quasi-produits » obtenus. On retrouve là, l’une de nos hypothèses centrales qui veut que la qualité de la prestation (son adéquation aux besoins du client et du prestataire) soit largement dépendante de la mise en œuvre des capacités humaines du prestataire (la qualité de la relation entre le banquier et son client) et non uniquement fonction de ses capacités techniques (notamment l’évaluation des clients par les grilles de scoring).

L’output tient à la transformation apportée au budget du client. Pour le client, il correspond aux conseils du banquier influençant ses pratiques bancaires et conduisant ou non à l’octroi de « quasi-produits ». Pour le prestataire bancaire, l’output tient à la rentabilité (ou non) immédiate de l’opération de transformation. Les établissements bancaires étant des entreprises marchandes, ils poursuivent en priorité l’objectif de rentabilité de leur activité même si d’autres objectifs peuvent être également considérés205.

Notes
204.

 Cette dimension de la prestation de services bancaires est particulièrement importante aux yeux des clients ayant rencontré des difficultés bancaires et qui incriminent leur banquier et sa prétendue désinvolture notamment en cas d’interdiction bancaire ou de surendettement (Gallou & Le Quéau, 1999).

205.

 Pour les besoins de l’analyse de l’incertitude, nous limiterons volontairement pour le moment les objectifs des banques à la rentabilité des transactions réalisées. Cette réduction est critiquable dans la mesure où d’une part, les établissements bancaires peuvent avoir une multiplicité d’objectifs, et que d’autre part, les établissements coopératifs ou la Banque Postale sont amenés à combiner l’objectif de rentabilité avec ceux de développement local ou de cohésion sociale de manière beaucoup plus forte que des banques comme la BNP-Paribas ou la Société Générale par exemple. Pour plus d’informations sur la question de la construction sociale des objectifs des organisations, voir le chapitre 12 de Gadrey (1996).