§3. La définition de la prestation de services bancaires

Forts de ces précisions, il nous est à présent possible de proposer une définition de la prestation de services bancaires.

La prestation de services bancaires correspond au fait qu’un établissement de crédit (organisation O) qui possède ou contrôle une capacité technique et humaine, vend à sa clientèle de particuliers (agent économique C) le droit d’usage de cette capacité pour une certaine période, afin de produire sur son budget (réalité S) des effets utiles.

La capacité technique du prestataire correspond aux différents « quasi-produits » bancaires, mais aussi aux outils statistiques d’évaluation du niveau de risque et des besoins des clients. Quant à la capacité humaine, elle inclut les compétences et aptitudes relationnelles de ses salariés (P).

Ce qui explique que les clients sollicitent les prestataires bancaires, c’est leur incapacité technique à réaliser la gestion bancaire de leurs ressources, mais aussi qu’ils ne maîtrisent que rarement le fonctionnement de l’ensemble des services bancaires dont ils peuvent avoir l’usage. Ils ont donc fréquemment besoin du banquier pour être conseillés – que ce soient des renseignements basiques sur le fonctionnement de leur compte de dépôt ou bien plus complexes sur des placements boursiers. Pour délivrer ces conseils, le banquier doit en retour bénéficier des informations que le client pourra lui transmettre sur la singularité de sa demande. La production des effets utiles implique donc une collaboration entre le client et le ou les salariés de l’établissement, dont l’intensité et la qualité peuvent varier. Cette collaboration intervient pour la production de l’output (la transformation) mais également, sous une forme plus diffuse, pour celle de l’outcome (le résultat).

Encadré 31 : Relation, prestation et multi-bancarisation
Le concept de « prestation de services bancaires » renvoie directement à la transformation appliquée à la réalité S (output) et aux effets obtenus (outcome). La « relation bancaire » quant à elle désigne la succession d’interactions entre le client et le prestataire bancaire (relation B du schéma 7) et, le plus souvent, entre le client et un salarié du prestataire bancaire (relation A), succession suffisamment cohérente et durable pour que la relation bancaire soit considérée comme un objet d’étude à part entière. Prestation et relation entretiennent des liens étroits.
D’une part, la prestation de services, et cela particulièrement dans le cas bancaire, est dépendante, que ce soit pour la production de l’output ou de l’outcome, de la relation qui s’établit entre le client et le salarié du prestataire bancaire. Dans ce cas, le terme « relation » désigne les modalités de collaboration mises en œuvre et qui peuvent être analysées en termes de « relations de service »209, ce qui peut également expliquer la confusion qui s’opère parfois entre les termes de prestation et de relation.
D’autre part, la prestation de services bancaires par l’articulation des différents quasi-produits qui la composent et de par leur fonctionnement dans la durée suppose généralement que les interactions entre le client et le prestataire soit amenées à se répéter. Cette inscription dans le temps fait alors écho au sens donné au terme « relation » par les modèles de l’économie bancaire (une succession de crédits). Toutefois, dans le cadre de la prestation, il faut préciser que les outputs qui se succèdent ne peuvent être considérés isolément les uns des autres en raison de leurs effets conjoints sur la qualité de l’outcome (par exemple, l’octroi d’un crédit à la consommation et un découvert sont deux outputs distincts, cependant ils pourront permettre d’obtenir le même outcome (absorber une dépense imprévue)).
Ainsi, la relation peut désigner d’une part le mode de collaboration entre le client et le prestataire, mais également le fait que la prestation (production des outputs et outcomes) s’inscrive dans la durée. Nous essayerons autant que possible d’éviter cette confusion. Toutefois, d’autres éléments contribuent encore à la confusion potentielle.
Une même prestation bancaire peut impliquer qu’il existe plusieurs relations dans la mesure où le client d’un seul établissement peut être en lien avec un ou plusieurs banquiers en agence, mais également avec un interlocuteur plus ou moins fictif par le biais des plateformes téléphoniques ou Internet de la banque à distance. Cette multiplicité de relations est à distinguer de celles qui se créent lorsque le client recourt à différents prestataires c'est-à-dire en cas de multi-bancarisation (30 % des clients sont multi-bancarisés en 2007).
Lorsqu’un client est multi-bancarisé, chacun des liens qu’il entretient avec un établissement bancaire correspond à une prestation particulière. Il n’est pas possible de considérer que ce sont les sous-dimensions d’une même prestation globale dans la mesure où il n’existe pas d’organisation qui se situe au-dessus de chacun des prestataires (alors que c’est le cas pour les salariés d’une même banque). Toutefois, et c’est essentiel, chacune de ces prestations est étroitement dépendante de la réalisation des autres.
Au regard de notre grille d’analyse, il apparaît que la qualité de l’output doit être considérée au niveau de chaque prestataire, en revanche, celle de l’outcome pour le client implique une prise en compte globale des différents outputs propres à chaque prestation. La multi-bancarisation fait donc en partie évoluer le lien entre output et outcome dans la mesure où une pluralité d’outputs permet de produire un seul outcome. La phase de transformation est rendue plus délicate car elle suppose pour le prestataire de prendre en compte quels sont les outputs des autres prestations en cours (en collaboration avec le client) afin d’apporter un conseil adapté aux besoins du client. Cette multiplication des intervenants peut également avoir pour effet de modifier le partage des responsabilités, chaque prestataire pouvant en cas de difficultés incriminer la qualité de l’output des autres, et tous pouvant souligner la responsabilité du client, seul véritable lien entre eux.

Les effets utiles possibles correspondent à la satisfaction des besoins financiarisés qui regroupent la conservation et la mise en circulation de ressources monétaires, la protection contre les aléas de la vie et la promotion par le financement de projets. Ainsi, si les clients paient leurs banques c’est implicitement « pour que ça marche ». « "Payer pour que ça marche", par exemple, c’est recourir à un ensemble de services [les « quasi-produits » bancaires] mobilisables en fonction des aléas [les accidents de la vie par exemple] et des dysfonctionnements du système technique ou humain [réalité S] »(Gadrey, 2003, p. 72).

La « globalisation de l’offre » (Giarini (1990) cité par Gadrey (2003)) est d’ailleurs la tendance à l’œuvre au sein du secteur bancaire depuis le milieu des années 1990. Gadrey (2003) décrit cette évolution de la prestation de services bancaires de la manière suivante : « Il ne suffit plus de vendre des quasi-produits, il faut proposer des services, c’est-à-dire des solutions plus complexes, individualisées, appuyées sur une gamme très étendue de "quasi-produits". Ceux-ci redeviennent des composantes du service. Passage de la standardisation des prestations à la définition de méthode de résolution de problèmes. Parallèlement, le self-service se développe pour certaines fonctions simples ou moins interactives » (p. 77).

Le fait que le résultat de la prestation doive apporter satisfaction au client « signifie que "la réalité des problèmes à résoudre" n’est pas un ensemble de données techniques ou objectives extérieures. C’est une construction sociale, dans laquelle prennent place des éléments techniques ou objectifs (eux-mêmes construits). Mais cette construction n’est pas le seul fait des professionnels et de leurs organisations (auquel cas on pourrait envisager que la "réalité" soit uniquement constituée d’un nombre limité de problèmes-types jugés pertinents ou intéressants, un peu comme des menus offerts). Elle fait intervenir d’autres acteurs et d’autres jugements de la pertinence des problèmes et des solutions, en particulier les clients, usagers, et institutions qui tiennent compte des intérêts de ces derniers » (Gadrey, 1996, p. 323). Cette nature du produit permet de donner du sens à l’incertitude identifiée par Karpik (1998) liée à l’opacité quant à la qualité du service, c'est-à-dire l’incertitude sur son adéquation aux besoins des différentes parties.

Notes
209.

La « relation de service » est présentée dans le chapitre 6.