D. L’évaluation de la qualité de la prestation

La quatrième et dernière caractéristique identifiée par Gadrey tient à la multiplicité des registres de justification concurrents et simultanément présents pour définir et apprécier la qualité de l’output et de l’outcome. Les tensions entre les différents registres accroissent l’incertitude car ils sont tous légitimes pour évaluer et éventuellement remettre en cause la qualité de la prestation.

La diversité de ces registres également légitimes tient au fait que la prestation a pour support des personnes (nous considérons que la prestation de services bancaires en est extrêmement proche). Ainsi, « même lorsque de tels services sont marchands, ils sont donc soumis non seulement à des exigences industrielles portant sur leur efficience (en cela ils diffèrent peu du secteur industriel marchand), mais aussi, très fréquemment, à des impératifs de justification d’ordre domestique (être bien traité ou soigné, sur un mode " personnalisé " , entretenir des relations de confiance …) ou civique (être traité avec équité, en tenant compte de l’intérêt collectif et de l’existence de solidarités , de la déontologie professionnelle…) […] » (Gadrey, 1994c, p. 135). Ces différents registres, inspirés des « cités » de Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1991), sont non seulement présents en raison des interactions entre le banquier et ses clients, mais également au sein des comités d’évaluation des dossiers de prêts (encadré 32).

Encadré 32 : Registres de justification et comité de crédit
André Wissler (1989), étudiant l’octroi de prêt au Crédit Mutuel de Bretagne, propose une analyse du type d’évaluation auquel les emprunteurs sont soumis lors des discussions du conseil d’administration, et les échelles de valeur auxquelles ces évaluations renvoient.
En s’appuyant notamment sur deux exemples, il en montre l’hétérogénéité. Le premier prêt est soumis à une évaluation de type domestique puisque le crédit concerne la rénovation de biens familiaux dans le but de les transmettre aux enfants. La faisabilité économique passe presque au second plan, ou plus précisément, est validée par la conformité morale des emprunteurs. Le second prêt correspond à une demande de financement d’une entreprise. Il est soumis à une épreuve industrielle au cours de laquelle l’analyste financier de la banque et le comptable de l’entreprise parviennent à s’entendre sur des critères communs permettant d’objectiver le risque.
Si la banque telle que Wissler la décrit n’existe plus tout à fait aujourd’hui (les conseils d’administration n’ont plus un tel poids, les procédures d’octroi se sont largement standardisées, etc.), les tensions existent toujours entre les différents registres de justification (Lazarus, 2004). Comme nous avons pu le constater au cours de nos enquêtes, elles sont également très présentes au sein des Comités de crédit qui octroient les microcrédits personnels et où argumentent des représentants d’établissements bancaires et du monde associatif.

Adopter une approche en termes de prestation de services bancaires permet de considérer les différentes sources d’incertitude qui se développent au moment du choix du prestataire ou de la sélection du client, de la réalisation de la transformation, ou de l’évaluation du résultat. Si ces sources d’incertitude sont distinctes, elles ne sont pas sans liens : la qualité du résultat (outcome) est généralement liée à la qualité de la transformation (output)212. Il est donc à présent possible de préciser à quoi correspondent les différentes sources d’incertitude qui affectent la prestation de services bancaires.

Notes
211.

Cet encadré est en partie basé sur Gloukoviezoff et Lazarus (2005).

212.

 Cependant, une transformation de qualité n’est pas systématiquement un gage de résultat de qualité. Nous reviendrons ultérieurement sur cette distinction.