C. Des foyers d’incertitude interdépendants

L’adoption d’une grille de lecture en termes de prestation de services bancaires permet de montrer toute la pertinence des pistes de réflexion ouvertes par la confrontation des travaux de Karpik (1998) aux résultats des travaux des économistes et sociologues portant sur la relation de crédit (chapitre 4).

La distinction par Karpik de l’incertitude portant principalement sur le comportement des acteurs, de celle liée à l’opacité du produit, nous avait permis de mettre en perspective les modalités de réduction analysées par les modèles de l’économie bancaire et les travaux des sociologues. Ces travaux se focalisent sur la première source d’incertitude, toutefois les relations de long terme, le recours à la réputation, au réseau social ou à la confiance permettent également de cibler la seconde : l’adéquation du produit aux besoins des acteurs de la relation. S’ils ne l’étudient pas, c’est que pour eux le « crédit » n’est par hypothèse le siège d’aucune incertitude.

Une analyse de la relation bancaire en termes de prestation de service permet de montrer que le crédit (pas plus que les autres « quasi-produits » bancaires) ne peut être assimilé au « produit » de la relation. Les « produits » de la prestation correspondent à l’output et à l’outcome. Ce sont ces produits dont la qualité est source d’incertitude mais de nature différente.

L’incertitude portant sur la qualité de l’output tient principalement au comportement des acteurs au moment de la phase de transformation. En ce sens, elle est proche des interrogations des modèles de l’économie bancaire ou des travaux des sociologues en dépit de la diversité des hypothèses retenues. Le client s’interroge sur la qualité du conseil que le prestataire va lui délivrer alors que ce dernier se demande si l’opération de transformation qu’il va réaliser avec la participation du client sera rentable (assimilée dans les modèles précédents au remboursement du crédit).

En revanche, l’incertitude sur la qualité de l’outcome est totalement ignorée par ces travaux. Elle tient à la qualité des effets ou résultats de la prestation, c'est-à-dire leur adéquation aux besoins des acteurs. Pour le client, il s’agit de la satisfaction de ses besoins financiarisés. Cette satisfaction est essentielle pour la banque car elle conditionne en partie la fidélité du client, élément indispensable à la rentabilité de la relation inscrite dans la durée. L’incertitude sur la qualité de l’outcome est ainsi liée à l’opacité du produit qu’analyse Karpik (1998). Considérer la prestation de services bancaires permet donc de mettre en lumière d’une part la double nature de son « produit », mais aussi et surtout la singularité de l’outcome.

Les implications de cet apport sont essentielles pour l’analyse des modes de réduction de l’incertitude d’une part, et des causes des difficultés bancaires sources d’exclusion bancaire d’autre part. En effet, si le calcul et le jugement sont des modalités de réduction de l’incertitude qui peuvent être articulées, le premier est pertinent en matière d’incertitude comportementale (output) mais sans effet sur l’incertitude affectant la qualité de l’outcome (liée à l’opacité du produit). Sachant que la mauvaise qualité de l’outcome est synonyme d’insatisfaction des besoins financiarisés des clients et donc d’exclusion bancaire, il est indispensable de s’interroger sur les moyens disponibles pour réduire l’incertitude qui l’affecte.