Conclusion du chapitre 5

Notre définition de la prestation de services bancaires pourrait être formulée synthétiquement de la manière suivante : la banque vend sa capacité technique et humaine à ses clients pour leur permettre de gérer leur budget au mieux, compte tenu de leurs désirs et contraintes. Pour cela, elle s’appuie sur des « quasi-produits » et sur les compétences de ses salariés, c'est-à-dire leurs conseils. Cependant, pour parvenir à être efficace, la réalisation de la prestation ne peut faire l’économie de la collaboration du client. Cette participation est quoi qu’il arrive incontournable dans la mesure où le résultat de la prestation pour le client comme pour la banque, est dépendant de l’usage qui est fait par le client des conseils et « quasi-produits » qui sont mis à sa disposition. La prestation de services bancaires implique donc un certain degré de personnalisation pour être adaptée aux besoins du client et s’inscrit dans la durée.

Cette définition met ainsi l’accent sur le résultat final de la prestation et non uniquement sur le moment fort qu’est l’interaction entre le client et le prestataire où surviennent ventes de quasi-produits ou réalisation d’opérations relatives à ces derniers. Ce choix conduit à considérer l’octroi de crédits ou la collecte des dépôts de la part des banques comme de simples composantes de la prestation à destination du client. Notre acception de l’activité bancaire diffère donc fortement de celles qui ont cours au sein de l’économie bancaire. Ceci, nous l’avons expliqué précédemment, résulte de l’angle d’analyse et de l’objet d’étude retenu. Ces définitions de l’activité bancaire et de son « produit » ne sont donc que des construits sociaux. Mais notre définition du produit l’est à double titre.

La première raison est que, bien qu’étayée par des éléments légaux et empiriques, elle n’en reste pas moins une convention de recherche. Cette convention est valable en 2008 en France. Elle peut être étendue à d’autres pays, mais elle n’a en aucun cas de portée universelle. Elle est plus que discutable appliquée à l’activité bancaire en Inde par exemple214, mais elle demande également à être contextualisée pour ce qui est des pays anglo-saxons où la « banque éclatée » est le modèle ayant cours et non la « banque universelle » comme c’est le cas en France.

Le second motif découle du fait que le « produit » de la prestation de services bancaires est lié aux désirs et contraintes du client. Il peut en effet, à situation budgétaire donnée, faire le choix de stratégies bancaires particulièrement différentes (être épargnant ou dépensier, investir en bourse ou conserver son argent sur un livret, utiliser son découvert ou faire un crédit, etc.). Les choix qu’il fait et les résultats attendus sont en partie négociés avec son banquier. C’est donc un produit éminemment subjectif et singulier qui demande à être défini conjointement. Comme l’écrit Gadrey, « on comprend mieux les incertitudes et les ambiguïtés auxquelles peut donner lieu la recherche d’une définition de " produits " aussi insaisissables, autorisant chaque acteur concerné à " choisir ce qui lui convient le mieux " . Au flou de la notion de produit correspond une " zone d’incertitude " que cherchent à utiliser au mieux les protagonistes » (Gadrey, 1996, p. 283).

Adopter une grille d’analyse en termes de prestation de services bancaires nous permet ainsi de mettre en lumière la dualité du produit de la prestation et donc de l’incertitude qui porte sur sa qualité. Elle est de nature comportementale (quelles que soient les hypothèses retenues pour l’expliquer) lorsque l’on considère l’output, et, en ce sens, les apports de l’économie bancaire et des travaux de sociologie en éclairent certains aspects. La qualité de la transformation tient en effet à la collaboration du client et du prestataire : pour le client, il s’agira d’avoir accès à des conseils et quasi-produits bancaires personnalisés et pour le prestataire de s’assurer que ces opérations se réaliseront de manière rentable.

Mais l’incertitude est également liée à l’opacité du produit, c'est-à-dire à la singularité du résultat (outcome), dimension que ces différents travaux ignorent. La qualité du résultat dépend alors de l’adéquation des effets produits par la transformation aux besoins singuliers du client. Cette satisfaction est un enjeu majeur pour la banque (à condition que le client soit commercialement intéressant) car elle conditionne sa fidélité et donc la rentabilité de la relation.

Au regard de notre objet d’étude, il apparaît alors que l’incertitude portant sur la qualité de l’output peut-être assimilée à une incertitude sur la survenue de difficultés bancaires (le crédit n’est pas remboursé ou il est refusé par exemple), alors que celle portant sur la qualité de l’outcome correspond à l’incertitude quant aux conséquences sur les capabilités des personnes (leurs besoins sont ou non satisfaits). Il en découle qu’en ignorant l’incertitude portant sur la qualité de l’outcome, les modèles de l’économie bancaire et les travaux des sociologues que nous avons présentés, ne peuvent analyser le processus d’exclusion bancaire.

Sachant que le processus d’exclusion bancaire entretien donc des liens étroits avec ces deux foyers d’incertitude et que la consolidation ne peut permettre de réduire que celui portant sur la qualité de l’outcome, il importe d’analyser les forces et faiblesses du jugement et plus précisément de la relation de service.

Notes
214.

Sur ce point, voir le livre de Servet (2006) pour plus d’informations.