Chapitre 6. Relation de service et réduction de l’incertitude sur la qualité du résultat

Introduction du chapitre 6

Passer d’une analyse en termes de relation de crédit à une analyse en termes de prestation de services bancaires a conduit à rendre incontournable la prise en compte de l’incertitude portant sur la qualité du résultat de la prestation (outcome) en complément de celle portant sur la qualité de la phase de transformation (output). La compréhension du caractère singulier de ce résultat doit beaucoup aux enseignements des travaux de Karpik (1998). En économie, il existe également un courant théorique qui entretient des liens réels avec une telle analyse : l’économie des conventions.

Ces travaux soulignent que les règles sont des ressources précieuses pour réduire l’incertitude mais qu’il est nécessaire d’en saisir la dimension éthique ou normative et que de plus, elles sont par nature incomplètes. « Les failles cognitives des acteurs les conduisent à s’accorder sur une représentation commune de la situation qui comporte nécessairement des aspects éthiques et cet accord sur des règles éthiques n’est pas un accord "définitif" (ce qui supposerait une connaissance collective parfaite de l’avenir), mais un accord lui-même incomplet et ouvert à des modifications permanentes au fil de l’action » (Postel, 2003, p. 201).

Ainsi, traitant de l’évaluation de la qualité du produit, Robert Salais et Michael Storper (1993)215 élaborent une distinction similaire à celle de Karpik entre la qualité « standard-générique » et « spécialisée-dédiée ». Ils montrent que l’incertitude sur la première qualité peut être traitée comme un risque car les caractéristiques du produit sont supposées connues de tous, en revanche, pour la seconde, il est nécessaire que les acteurs parviennent à un accord posant la question des critères légitimes d’évaluation. En dépit de la pertinence de cette définition des termes du problème, les analyses conventionnalistes de la relation de crédit (Guille, 1994 ; Rivaud-Danset, 1995, 1996 ; Scialom, 1999) restent étonnamment prisonnières des bases posées par Stiglitz et Weiss (1981). Elles soulignent en effet que « la supériorité des banques par rapport au marché quant à la connaissance de la qualité des emprunteurs repose, d’une part, sur les données objectives que nous venons d’évoquer [données issues de la consolidation], informations que seules les banques détiennent, et, d’autre part, sur une appréciation subjective inhérente aux relations de confiance qui ont pu se nouer au cours du temps entre la banque et son client » (Scialom, 1999, p. 12-13).

Bien qu’intégrant les interactions entre client et banquier, ces travaux passent à côté du cœur de l’incertitude qu’est la singularité du produit, et donc sur ses modalités potentielles de réduction en continuant à assimiler l’incertitude portant sur la relation de crédit à celle sur la qualité de l’emprunteur. Dès lors, même si différents résultats de l’économie des conventions seront mobilisés pour étayer notre analyse, c’est une nouvelle fois vers l’économie des services et les travaux de Gadrey en termes de relation de service qu’il faut se tourner pour mener une analyse spécifique de la prestation de services bancaires.

L’objectif de ce chapitre est donc d’analyser les avantages et limites des relations de service au regard des foyers d’incertitude qui pèsent sur la qualité de la prestation de services bancaires. Pour cela, il est nécessaire d’identifier les caractéristiques favorables à l’efficacité des relations de service pour réduire l’incertitude sur la qualité du résultat, et d’analyser en quoi la prestation de services bancaires peut être comprise comme une relation de service (section 1). Ce sont ensuite les limites inhérentes aux relations de service qui seront détaillées notamment du point de vue de l’incertitude portant sur la qualité de l’output (section 2).

Notes
215.

Voir également Salais (2004).