B. La confiance au cœur de la relation

L’efficacité des relations de service pour réduire l’incertitude repose sur la coopération du client et du banquier. En raison de la singularité de la situation et des besoins du client, il n’est pas possible de recourir, à l’instar de ce qui est fait dans les modèles de l’économie bancaire, à la consolidation mais seulement au jugement, c'est-à-dire à « la confiance  – au sens de possibilité de croire – que l’on peut accorder dans la possibilité de vérité d’une conjecture » (Rivaud-Danset, 1996, p. 953).

Le rôle de la confiance comme mode de régulation des relations de service est également souligné par Gadrey (1994c) : en rendant possible la réalisation d’anticipations sur les actions de l’autre, elle permet aux acteurs de s’investir dans la relation. Plus précisément, elle autorise leur coordination relativement à leurs attentes réciproques « à propos du service en acte et des diverses interactions et transactions qui en marquent le déroulement et la conclusion » mais également « en matière de renouvellement et de stabilité de la relation au cours du temps, au-delà de chacune des rencontres possibles » (p. 143).

Préalablement à toute analyse, il est essentiel d’insister sur le fait que souligner l’utilité de la confiance pour accroître l’efficacité de la relation établie entre le banquier et le client, n’équivaut pas à considérer qu’ils se font confiance parce que cela est efficace. Ce serait réduire la confiance à un simple calcul coût-avantage, ce qu’elle n’est pas.

La confiance repose sur la foi dans les personnes (ou les institutions), sur des éléments de validation et de preuve de la parole donnée et sur la mémoire des expériences passées (Servet, 1994). Autrement dit, elle est toujours un pari (et ne peut donc être réduite au résultat d’un calcul, contrairement à la thèse de Williamson218) pris en situation d’incertitude. Ce pari est cependant étayé par des éléments de validation liés aux informations disponibles sur l’autre, aux règles et normes sociales219, et aux différentes formes de proximité. Il repose de plus sur l’hypothèse selon laquelle « les connaissances actives ou passives de type historique ou intériorisées comme routine permettent de penser que ce qui s’est bien déroulé dans le passé produira le même effet dans l’avenir, et ainsi de suite ; l’habitude laisse supposer qu’il n’y aura pas rupture des engagements implicites ou non pris, qu’il y aura en quelque sorte fidélité. Les échecs sont aussi des éléments de cette mémoire individuelle et collective » (Servet, 1998, p. 115, souligné par l’auteur).

Nous pouvons ainsi distinguer deux types de confiance : la confiance personnelle qui s’établit entre deux personnes et la confiance impersonnelle qui s’établit entre une personne et une institution (Karpik, 1989). Toutefois, ces deux types de confiance peuvent entretenir des liens étroits, la première permettant le plus souvent la seconde220.

Si la confiance ne peut se décréter, certains éléments la favorisent. Le choix d’un prestataire peut se faire en s’appuyant sur les conseils d’un prescripteur avec lequel le client entretient une relation de confiance (relation C-I du schéma 7). Ce prescripteur peut recommander une banque où une agence précise voire même un banquier particulier. Cette mise en relation intermédiée est favorable au développement de la confiance. On retrouve là l’interrelation des confiances personnelles et impersonnelles. De même, lorsque l’évaluation de la qualité d’un prestataire est pour partie inaccessible au client, il lui faut s’appuyer sur des repères institutionnels. Ce sont alors les institutions de régulation qui sont mobilisées (relation C-R du schéma 7).

Au sein de la relation elle-même, d’autres éléments interviennent. C’est notamment le cas des différentes formes de proximité entre le client et le banquier ainsi que des normes et règles de l’organisation prestataire régissant ces interactions. Ces éléments, lorsqu’ils favorisent l’établissement de la confiance, influent directement sur la qualité de la transformation et donc à terme du résultat. La confiance est ainsi un ingrédient endogène qui se construit (ou se détruit) avec le temps, au travers du processus d’apprentissage de la relation et de la réalisation des résultats et comportements espérés (Rivaud-Danset, 1996, Mendez & Richez-Battesti, 1999). Son développement est alors extrêmement sensible aux caractéristiques de la prestation proposée par la banque (éléments encadrant la relation entre le client et le banquier depuis les règles et normes de l’organisation jusqu’aux quasi-produits eux-mêmes).

Les relations de long terme décrites par les modèles de l’économie bancaire trouvent ici une explication plus complète. Elles permettent assurément à la banque d’obtenir des informations afin d’évaluer par consolidation le niveau du risque du client plus finement ; cependant la multiplication des interactions entraîne également potentiellement le développement d’une relation de confiance qui stabilise la relation et lui donne sa cohérence. Elle permet en effet un apprentissage de la relation autrement dit la construction d’un cadre d’échange commun qui dépasse ce qui est prévu contractuellement (Eymard-Duvernay, 2004)221.

Cependant, si la confiance permet de trouver rapidement (par ajustement) une « longueur d’ondes » commune, « ce fonctionnement idéal est un cas limite : tensions et incompréhensions font partie du quotidien de ces relations, dans la mesure où les interlocuteurs partent le plus souvent d’informations et de cadres cognitifs différents (donc de "longueurs d’ondes" distinctes). Le processus d’ajustement peut donc échouer, notamment parce qu’il n’y a pas d’équivalence a priori des informations et des savoirs mobilisables de part et d’autre (le client doit le plus souvent s’exprimer dans le registre des "savoirs profanes") » (Gadrey, 1994c, pp. 147-148). Afin de mettre en évidence les causes potentielles d’échec de la relation de service, il importe d’en détailler le fonctionnement et les modalités de participation du client.

Notes
218.

Pour une lecture critique, voir Karpik (1998).

219.

La confiance comporte donc une dimension collective ou sociale.

220.

 Dans le cadre de la relation de service bancaire, c’est la confiance personnelle qui favorise la coordination, dans la mesure où la relation principale est celle qui unit le client et le banquier. D’ailleurs, pour les banquiers (mais aussi pour les avocats (Karpik, 1989), profession dont les formes d’incertitudes sont relativement proches), la proportion de clients faisant confiance à leur banquier personnel (ou avocat) est systématiquement plus importante que celle faisant confiance à la profession dans son ensemble (Cusin, 2002 et 2005). Nous verrons par la suite que les établissements bancaires ont réorganisé leurs modalités de relation avec le client de manière à rendre la confiance impersonnelle (entre le client et la banque) moins dépendante de la confiance personnelle (entre le client et le banquier).

221.

 On retrouve là une dimension de l’actif spécifique de Williamson (voir encadré 25) qui fait du langage commun se développant entre client et prestataire un facteur d’amélioration de la qualité du résultat de la prestation. Cependant, en raison de l’hypothèse d’opportunisme, Williamson explique qu’il est indispensable de recourir à la hiérarchie pour permettre à ce langage de se développer. Ici, la confiance rend précisément cela possible.