C. La « révolution quantitative »

Cette place donnée à la connaissance codifiée conduit Leyshon et Thrift (1999) à faire du discours marketing un élément clef de ce qu’ils qualifient de « révolution quantitative » de la banque de détail. Ils la comparent d’ailleurs avec celle qui sévit à partir de la fin des années 1970 au sein de nombreuses disciplines académiques. À l’instar de ce qui s’est fait dans le monde académique, la transformation qui a eu lieu dans la banque de détail a supposé d’abandonner certaines conceptualisations passées (dans le cas de la banque de détail, il s’agit de la connaissance tacite du banquier en contact avec le marché compris comme un territoire avec ses spécificités) afin de permettre la mesure et la prédiction universelle des comportements sociaux. « Moreover, both movements share a strong attachment to positivism and a belief in the power of predictive science » (Leyshon & Thrift, 1999, p. 451).

La comparaison des hypothèses du discours marketing et celles des modèles de l’économie bancaire permet de confirmer leur proximité. Tout d’abord, la consommation a pour but la satisfaction de besoins qu’il est possible de saisir a priori. Autrement dit, la réponse à ces besoins peut être définie objectivement par le prestataire à l’instar du crédit considéré comme un produit dont la nature n’est pas source d’incertitude. Ensuite, la consommation est considérée comme un acte rationnel de la part d’un client souverain et correctement informé. De la même manière, l’emprunteur est vu comme capable d’évaluer correctement son niveau de risque et donc ses besoins ; seule la banque est victime d’une asymétrie d’information. Enfin, que ce soit pour définir le besoin à satisfaire ou le niveau de risque du client, ce sont les technologies de l’information qui sont censées apporter la réponse, autrement dit, la consolidation des modèles de l’économie bancaire.

Une autre similitude soulignée par les auteurs est que cette transformation est portée tant dans les disciplines académiques que dans les banques par une nouvelle génération de chercheurs ou de banquiers. Dans le cas de la banque, ces « hérauts » de l’analyse de données sont généralement recrutés à des postes élevés au centre de l’organisation sans avoir travaillé au préalable dans les agences, ni suivi les formes d’apprentissage et de progression jusqu’alors à l’œuvre dans les banques françaises (Grafmeyer, 1992 ; Dressen & Roux-Rossi, 1996 ; Brun-Hurtado, 2005). Ils se montrent le plus souvent très critiques à l’égard de l’organisation bancaire existante et soutiennent fortement sa rationalisation par l’introduction de ces nouvelles technologies.

Il a semblé important d’insister sur le rôle joué par le discours marketing ainsi que sur ses connexions avec l’économie bancaire afin de souligner que la transformation des caractéristiques de la prestation de services bancaires n’est pas le fruit d’une évolution naturelle mais de choix stratégiques. À côté de leur efficacité au regard des objectifs fixés, la sélection de ces choix organisationnels ainsi que leur maintien ou remise en cause subissent l’influence du discours marketing complété par celui académique. Le discours marketing place au cœur de sa rhétorique la satisfaction des besoins du client quand, parallèlement, les modèles de l’économie bancaire légitiment théoriquement le recours aux technologies de l’information pour réduire l’incertitude (consolidation), autrement dit la forme de la prestation de services bancaires. Ainsi, ce discours influence en amont les choix organisationnels retenus et en aval, il en favorise l’acceptation en réduisant les résistances éventuelles des salariés, des clients ou des pouvoirs publics.

Pourtant, une hypothèse essentielle est passée sous silence : les seuls besoins qui seront satisfaits par les banques sont ceux que les nouvelles caractéristiques de la prestation de services bancaires permettront de satisfaire de manière rentable pour l’entreprise.