A. La mise en accusation de la relation de service

Trois principales carences de la méthode qui privilégie l’entretien entre le client et le banquier, sont recensées (Leyshon & Thrift, 1999). La première est qu’il s’agit d’un système faillible – il engendre un nombre trop élevé d’impayés251 – alors qu’il est coûteux pour l’entreprise252 car extrêmement consommateur de temps de « main d’œuvre ».

La deuxième tient à la dépendance de l’ensemble de l’organisation à la qualité du jugement individuel des banquiers en agence, alors même que l’évaluation de celle-ci est particulièrement difficile pour les responsables de l’organisation253. Elle peut en effet être affectée par le caractère relationnel de l’activité bancaire. La proximité et les liens de confiance que le banquier entretient avec ses clients sont suspectés de le conduire à perdre son objectivité et à prendre des décisions sous influence « affective ». Mais cette qualité peut également se dégrader en raison des difficultés des banquiers à intégrer rapidement l’évolution des besoins et risques de la clientèle, liée notamment à la fin de la période de forte croissance des « Trente Glorieuses ».

La troisième faiblesse tient au fait que les mauvaises évaluations du niveau de risque du client sont généralement causées par le fait que les banquiers sont en moyenne insuffisamment exposés aux demandes inhabituelles. Si ce savoir n’est pas détenu individuellement, il existe au sein de l’organisation considérée dans son ensemble, cependant il est difficile à partager avec l’ensemble des banquiers.

La réponse des banques à ces critiques a été de se tourner vers les nouvelles technologies de l’information afin de rationaliser les relations avec les clients. Elles étaient d’ailleurs déjà largement présentes au sein des banques, mais cantonnées jusqu’à présent à la gestion des transactions et aux opérations administratives, c’est-à-dire au back office. C’est à cette époque que se constituent les « usines » correspondant aux centres informatiques qui regroupent une grande partie de l’activité administrative jusqu’alors dévolue aux agences254. Elles vont rapidement élargir leur domaine d’influence en étant étendues aux modalités de relation avec la clientèle, modifiant ainsi les différentes facettes de la relation de service.

Notes
251.

 Le mode de contrôle du risque qui était en grande partie à la charge de l’État (au travers de la fixation des taux d’intérêt créditeur et débiteur notamment) s’est durci à partir des années 1970 (Chapitre 2). Les règles prudentielles qui correspondent au provisionnement de fonds pour faire face aux risques de crédit et de marché, sont ainsi un facteur qui pénalise le résultat des banques qui ne parviennent pas à maîtriser leur exposition aux risques. Le ratio Cooke (Bâle I) était au cœur de ce système (depuis 1988 pour les risques de crédit et 1995 pour ceux de marché) ; il est aujourd’hui progressivement remplacé par le ratio Mac Donough (Bâle II).

252.

Les conditions salariales sont relativement avantageuses dans la banque de l’époque (Dressen & Roux-Rossi, 1996 ; Brun-Hurtado, 2005) et l’hétérogénéité des portefeuilles des banquiers conduit certains d’entre eux dont le salaire a augmenté avec l’ancienneté à consacrer un temps très coûteux pour l’entreprise à des clients qui ne rapporteront que très peu voire même pas du tout à l’entreprise.

253.

Difficulté accrue par le fait qu’une partie du personnel jusque là affectée aux tâches administratives, va devoir se consacrer à l’activité commerciale.

254.

Nous ne développons pas ce point dans cette thèse. Pour plus d’informations, voir Grafmeyer (1992), Dressen et Roux-Rossi (1996), Brun-Hurtado (2005) et Pastré (2006).