C. Un copilotage encadré

Si la suppression des interactions opérationnelles n’est pas perçue comme un problème du point de vue de la banque, c’est parce que la nature de la connaissance mobilisée pour évaluer le niveau de risque et les besoins du client a évolué. Alors que le rapport de la banque au marché se faisait jusqu’à présent par l’intermédiaire du banquier et de sa connaissance personnelle du territoire et de ses populations, ce sont désormais les bases de données regroupant les informations sur les clients et leur analyse par les systèmes de scoring et de datamining 256 qui prennent le relais (encadré 35). On passe d’une relation avec des « marchés concrets » à une relation avec des « segments de marché » (Courpasson, 1995a, b).

Encadré 35 : Les méthodes de scoring
Le scoring consiste à donner des notes (des scores) de risque aux clients potentiels. Ces scores créent des seuils en fonction desquels le produit sollicité (un crédit par exemple) est accordé ou non. Ils se fondent sur l’analyse de réponses à des questionnaires, réponses auxquelles sont attribuées des points en fonction des comportements de crédit passés de clients ayant les mêmes caractéristiques.
Les informations prises en compte sont celles disponibles sur le client. En France, où il n’existe pas de centralisation des données financières sur les consommateurs (« fichier positif »), les banques utilisent les informations déclaratives du client, les éléments issus du FICP et FCC (« fichiers négatifs ») et, lorsqu’il s’agit d’un client avec lequel des relations ont déjà été entretenues, l’historique du fonctionnement des produits dont il avait ou a encore la possession. La CNIL interdit de prendre en compte des éléments jugés discriminatoires comme la religion, la couleur de peau ou les préférences sexuelles. Ce qui compte pour avoir un bon score est avant tout la stabilité : l’ancienneté dans le logement, la banque et le travail, mais également le nombre d’enfants.
Les principaux critères pris en compte sont – pour les particuliers – : la situation financière de l’emprunteur (niveau, nature et régularité des revenus, existence d’un patrimoine, etc.), sa situation professionnelle (nature de l’emploi, stabilité, etc.), des critères sociaux (marié(e) ou célibataire, taille du ménage, lieu de résidence, etc.).
Deux types de scoring existent.
Le premier type est appelé « scoring souverain » ou « pré-score ». Il tente d’évaluer a priori le niveau de risque d’un client en comparant ses caractéristiques socioéconomiques ainsi que sa situation financière à celles d’autres situations dont le niveau de risque a été constaté. Ce scoring est principalement utilisé pour l’octroi de crédits revolving par les établissements de crédit spécialisés.
Le second type de scoring est le « scoring d’aide à la décision » ou « scoring comportemental ». Il se base sur les informations dont dispose l’organisation dans ses bases de données sur un client afin d’évaluer son niveau de risque (en complément des pré-scores) mais également son profil de consommation et donc ses besoins à satisfaire ainsi que sa rentabilité actuelle et potentielle (sa life-time value). Ce second type de scoring qui s’appuie sur le datamining, suppose d’avoir des bases de données alimentées par une relation de long terme avec le client. Il est donc très présent dans les banques de détail.

Les logiciels experts permettent la sélection de la clientèle et son découpage en segments257. C’est à partir de ces segments qu’est défini le niveau de prestation censé assurer la rentabilité de la relation établie et donc la satisfaction du client, comme l’explique le discours marketing. Les décisions du banquier quant aux réponses qu’il apporte aux demandes de sa clientèle ou aux propositions qu’il peut leur faire, s’appuient sur l’analyse effectuée par ces logiciels. En effet, ces outils de « gestion de la relation client » (Customer Relationship Management) indiquent instantanément au banquier les informations dont dispose la banque sur le client et les réponses potentiellement accessibles. Son action est donc fortement encadrée par l’évaluation réalisée par ces systèmes informatisés ; le champ du copilotage en est alors réduit d’autant (Courpasson, 1995a et b, 2000 ; Cusin, 2002, 2004, 2005 ; Brun-Hurtado, 2005).

La mise en œuvre des systèmes de scoring s’est rapidement généralisée car elle est supposée apporter des réponses nouvelles aux problèmes anciens. Ces systèmes intègrent les changements socioéconomiques globaux (hausse du risque de défaut sur une population particulière comme celle des sidérurgistes par exemple). Ils traitent rapidement et à peu de frais les demandes des clients, ce qui leur a valu d’être soutenus au Royaume-Uni par l’Office of Fair Trading car ils devaient se traduire à terme par une réduction du prix pour le client (Leyshon & Thrift, 1999). Ils assurent la mise en commun des informations disponibles dans l’ensemble du réseau y compris pour les cas atypiques et favorisent ainsi l’objectivité de l’analyse. Toujours au Royaume-Uni, l’Equal Opportunities Commission s’est déclarée favorable à leur introduction espérant qu’elle favorise la disparition des discriminations, notamment sexuelles, liées à la méthode d’évaluation relationnelle258.

Mais plus que tout, ce qui explique leur généralisation, c’est que combiner aux outils du marketing, les systèmes de scoring favorisent le ciblage des clients les plus intéressants commercialement et permettent de leur proposer une prestation adaptée afin de s’assurer leur fidélité259.

Notes
256.

 Littéralement « forage de données », le datamining correspond à l’exploitation des bases de données. Les logiciels consacrés à cette fonction croisent l’ensemble des informations contenues dans ces bases, ce qui peut conduire à mettre en évidence des éléments jusqu’alors non perçus, et ainsi d’affiner les définitions des profils de clients.

257.

Entre 4 et 5 pour la clientèle des particuliers.

258.

L’évaluation subjective, à laquelle correspond le jugement, est plus favorable à l’expression de préjugés (cf. Uzzi & Gillepsi, 2002 ; Chapitre 4).

259.

Cette fidélisation ne se fait pas seulement par la satisfaction du client, mais également en « attachant le client à l’offre » (Cusin, 2002) : sa souscription à de nombreux produits rend sa défection plus délicate. D’ailleurs, à partir d’une étude de Research International datée de 2002, Lamarque et Zollinger (2004) montrent que pour 41 % des clients, la fidélité s’explique avant tout par des facteurs d’inertie et non par leur satisfaction.