Partie III. Prestation de services bancaires inappropriée et difficultés bancaires

Introduction partie III

Depuis l’absence totale d’accès aux produits bancaires jusqu’au surendettement, toute une palette de situations manifeste l’exclusion bancaire. De nombreuses explications sont avancées. Certaines, fatalistes, font le constat d’une société où la pauvreté et la précarité sont telles qu’il n’est pas possible de donner accès aux services bancaires à une partie de la population sans que des difficultés n’apparaissent. D’autres reprochent aux clients leur irresponsabilité qui les conduit à faire un usage dangereux des moyens de paiement scripturaux ou des crédits dont ils disposent. D’autres encore ciblent les établissements de crédit dont l’appât du gain les conduirait à exploiter autant que possible les clients les plus modestes puis à les rejeter quand il n’y a plus rien à y gagner. Bien que simplistes et parcellaires, chacune de ces explications pointe un élément du problème : le contexte socioéconomique, le comportement des clients, et les stratégies des établissements de crédit.

Les deux parties précédentes ont permis de souligner que pour comprendre les enjeux de l’exclusion bancaire, il fallait la replacer dans son contexte. Ce contexte est celui de l’intensification de la financiarisation qui a fait des produits bancaires des éléments clefs de la participation sociale de chacun. Pour tous, ils sont un support essentiel pour satisfaire aussi bien les besoins de protection que de promotion. Ils sont donc progressivement devenus socialement incontournables. Mais ce contexte est également celui du néolibéralisme économique qui depuis le début des années 1980 a notamment transformé en profondeur l’activité des établissements bancaires. Plus que jamais, la question de la rentabilité des relations établies avec chaque client est devenue une composante essentielle des choix stratégiques des établissements de crédit. C’est elle qui a guidé la « modernisation bancaire » dont les caractéristiques de la prestation de services bancaires découlent.

Alors que l’accès approprié aux produits bancaires n’a jamais été aussi socialement incontournable, les établissements de crédit sont donc soumis à des contraintes les conduisant à proposer une prestation qui privilégie la qualité de l’output sur celle de l’outcome (c'est-à-dire un accès approprié) à mesure que les clients paraissent de moins en moins solvables. S’il paraît évident que les difficultés bancaires découlent de cette inadéquation entre besoins spécifiques et singuliers d’un côté et réponse standardisée et automatisée de l’autre, il importe de comprendre comment s’articulent précisément ces différents éléments lors de la prestation de services bancaires. L’objectif de cette partie est donc de montrer comment interagissent contexte socioéconomique, pratiques bancaires des clients et caractéristiques de l’offre bancaire.

Pour mener à bien cette réflexion, il est tout d’abord nécessaire de s’intéresser aux besoins spécifiques des clients liés au contexte socioéconomique dans lequel ils évoluent, et de comprendre en quoi ils conditionnent leurs pratiques bancaires. Cette analyse permet d’invalider l’hypothèse d’irrationalité ou d’irresponsabilité de ces personnes et de démontrer que le problème tient davantage au caractère inapproprié de la prise en compte de leur singularité en raison de la place laissée au copilotage. En découle, une diversité de relations bancaires illustrant l’hétérogénéité réelle qui persistent entre les établissements de crédit (Chapitre 8).

Ayant établi les causes de la mauvaise qualité du copilotage et son influence sur l’apparition des difficultés bancaires, il est ensuite nécessaire d’analyser le rôle joué par les dispositifs techniques (outils de scoring, caractéristiques et coût des produits, procédures automatisées de facturation et de traitement des incidents, etc.) qui s’y substituent pour garantir in fine la qualité de l’output. Destinés à protéger les prestataires, ces dispositifs accroissent en retour le risque de difficultés d’usage pour le client en lui faisant supporter la responsabilité et le coût de la réduction de l’incertitude sur la qualité de l’outcome (et de ses conséquences en cas d’échec). La mauvaise qualité de la prestation (copilotage et dispositif technique) provoque alors le développement de difficultés d’usage mais également d’accès. Certains clients s’auto-excluent pour tenter d’éviter les conséquences anticipées d’un outcome de mauvaise qualité. Quant aux établissements de crédit, en raison des limites de leurs diverses stratégies de rentabilisation, ils essayent d’éviter celles d’un output de mauvaise qualité par des procédures de sélection (Chapitre 9).

Enfin, l’analyse des mécanismes et interactions qui produisent les difficultés bancaires d’accès et d’usage sources d’exclusion sociale permet de mettre en perspective les réponses existantes à l’exclusion bancaire. Non seulement, il devient possible de montrer en quoi les réponses apportées en France (droit au compte, commissions de surendettement) ne visent que les conséquences des difficultés bancaires et non leurs causes. Mais, cette analyse permet également de démontrer en quoi les réponses actuellement proposées visant à améliorer le fonctionnement du marché, ne peuvent permettre le développement d’une société financièrement plus inclusive. En ne considérant pas la relation bancaire comme une prestation de services bancaires, ces réponses peuvent seulement essayer d’améliorer la qualité de l’output mais sont au mieux sans effet et au pire dévastatrices sur la qualité de l’outcome. À partir d’exemples existants, il est pourtant possible de tracer les contours d’une prestation appropriée et les modalités d’une « régulation solidaire » du secteur bancaire qui concilient efficacité économique et bien commun (Chapitre 10).