A. Un comportement source de difficultés : une caractéristique des « pauvres » ?

Étudiant les explications apportées par les chercheurs, les politiciens et les médias au recours à la procédure de faillite personnelle aux États-Unis, Ramsay (2003) démontre que si les offreurs de crédit sont souvent dénoncés comme ayant des pratiques commerciales trop agressives et ne contrôlant pas suffisamment l’usage qui est fait des crédits par les emprunteurs, c’est précisément en raison du comportement supposé de ceux-ci. Les emprunteurs surendettés sont ainsi présentés comme naïfs et incapables de contrôler les nombreux crédits auxquels ils souscrivent, ou devrions-nous dire « elles » souscrivent tant ces préjugés s’accompagnent également de sexisme (Ramsay, 2003).

La responsabilité des personnes rencontrant des difficultés bancaires et budgétaires est un thème récurrent. Il fait écho aux représentations et discours individualisant sur les pauvres et les chômeurs que ce soit de la part du grand public ou des économistes (Cordonnier, 2000 ; Clément, 2003 ; Paugam, 2005). En matière de gestion budgétaire, Guérin (2000) dresse un constat proche en se penchant sur l’approche microéconomique de l’épargne et de la consommation. Ces théories sont basées sur les deux éléments suivants. Le premier est que l’utilité inter-temporelle est maximisée par un arbitrage entre taux d’intérêt (épargne) et préférence pour le présent (consommation). Le second est que les agents sont caractérisés par une aversion au risque ce qui favorise la constitution d’une épargne de précaution. Le degré d’aversion au risque conditionne ainsi l’arbitrage entre épargne et consommation.

En se basant sur différents travaux, Guérin montre que les agents sont considérés comme « impatients » lorsqu’ils ne renoncent pas à une partie de leur consommation au profit de l’épargne (préférence pour le présent supérieur au taux d’intérêt), « myopes » lorsqu’ils consomment sans se constituer un patrimoine pour leur retraite, et « imprudent » lorsqu’ils n’épargnent pas alors qu’ils vivent en situation risquée. Elle en conclut que « selon ce type d’analyse, les pauvres seraient à la fois "impatients", "myopes" et "imprudents" » (Guérin, 2000, p. 309).

Ce résultat est contestable car d’une part l’élasticité-revenu de l’épargne est élevée ce qui en fait un bien de luxe (le niveau de revenu conditionne le montant et la régularité de l’épargne) et d’autre part, ces théories n’intègrent pas la contrainte de liquidité qui peut rendre impossible toute épargne de précaution.

À l’instar de ces théories de la consommation, celles sur le crédit donnent une place centrale à une explication comportementaliste : l’opportunisme des agents. Mais tout comme pour les théories précédentes, nous avons montré que l’influence de la situation socioéconomique des ménages est un facteur explicatif essentiel des difficultés rencontrées. Il faut donc abandonner une approche dotant les pauvres par essence de caractéristiques psychologiques (impatience, myopie, imprudence et opportunisme) qui expliquent à elles seules les difficultés bancaires qu’ils rencontrent. Toutefois, il ne faut cependant pas pour autant abandonner l’analyse de leurs décisions. Plus précisément, sachant que les décisions prises par les clients dans le cadre de la prestation de services bancaires influent sur la qualité de l’output et de l’outcome, c’est l’effet de ces difficultés sur la prise de décision qui doit être interrogé.