A. Une explication par des compétences techniques pertinente mais insuffisante

Pour évaluer dans quelle mesure les compétences bancaires influent sur la survenue de difficultés ou non, il importe de disposer d’un large échantillon de personnes aux caractéristiques variées. C’est précisément ce qu’offre l’étude d’Atkinson et al. (2006).

Commanditée par l’autorité de régulation financière britannique (FSA), cette étude statistique se propose de mesurer les compétences financières (financial capabilities) de plus de 5 000 personnes. Pour cela une série de cinq indicateurs a été construite (Tableau 12).

Tableau 12 : Indicateurs de compétences financières
Gestion du budget La capacité à joindre les deux bouts : maintenir son budget équilibré en fin de mois
Suivre l’évolution du budget : garder des traces des dépenses, consulter régulièrement le solde du compte, etc.
Planification Mise en œuvre de stratégies financières comme l’épargne qu’elle soit de précaution pour faire face à des évènements imprévus ou qu’elle corresponde à l’anticipation de besoins prévus comme un achat important ou la retraite.
Choix des produits Il s’agit de voir sur les cinq dernières années si les produits auxquels il a été recouru se sont révélés appropriés, et d’évaluer le degré de confiance des personnes en leur propre choix.
Information économique et financière Le fait que les personnes restent informées ou non quant aux évolutions économiques générales ainsi que par rapport aux évolutions connues par le secteur bancaire notamment le développement de nouveaux produits. Il s’agit également de la variété et de la qualité des conseils qu’ils peuvent recevoir en matière bancaire.
Questionnaire Il est destiné à tester les connaissances techniques monétaires et financières des personnes interrogées.

Source : d’après Atkinson et al. (2006).

À partir des résultats obtenus, les chercheurs ont identifié statistiquement des groupes basés sur le nombre d’indicateurs pour lesquels une faiblesse était détectée et sur la nature de celle(s)-ci (tableau 13).

Tableau 13 : Difficultés bancaires et compétences financières
Faiblesses Groupe Pourcentage Description
0 Ai 36 Il s’agit de couples âgés aux revenus élevés et aux nombreux produits financiers. Leurs résultats sont très bons dans tous les domaines sauf pour le suivi des comptes où ils sont juste au-dessus de la moyenne.
1 Bi 22 13 Ce sont surtout des femmes, plus âgées et aux revenus plus faibles que la moyenne. Leurs résultats sont très bons pour joindre les deux bouts et planifier, en revanche, ils sont mauvais en matière d’information. Ils détiennent moins de produits bancaires que la moyenne.
Bii 9 Il s’agit principalement de couples d’âge moyen. S’ils s’en sortent bien pour joindre les deux bouts, leurs résultats sont très mauvais pour ce qui est du suivi des comptes, et seulement moyen pour la planification. Ils se tiennent en revanche bien informés et se distinguent par des revenus et un équipement financier élevés.
2 Ci 8 4 Il s’agit de couples jeunes, souvent avec enfants et aux revenus élevés. Leurs résultats sont très mauvais pour suivre leurs comptes et mauvais pour joindre les deux bouts. Ils sont en revanche assez bons pour la planification. Ils vivent au-dessus de leurs moyens et sont très équipés en produits financiers.
Cii 4 Il s’agit de personnes jeunes ayant des revenus moyens et vivant au jour le jour. En effet, leurs résultats sont en dessous de la moyenne pour joindre les deux bouts et en matière de planification. Ils sont très bons en termes de suivi des comptes et d’information. Ils sont un peu moins équipés en produits bancaires que la moyenne.
3 Di 13 3 Il s’agit surtout de femmes plus âgées que la moyenne, généralement sans enfants et ayant des revenus faibles. Leurs résultats sont très bons pour joindre les deux bouts et bons pour la planification. En revanche, ils sont très mauvais pour suivre les comptes, choisir les produits financiers et se tenir informé. Leur équipement financier est légèrement inférieur à la moyenne.
Dii 3 Ce sont des personnes d’âge moyen à très bas revenus. Leurs résultats sont légèrement au-dessus de la moyenne pour joindre les deux bouts et suivre leur compte mais très mauvais pour planifier, choisir les produits et se tenir informé. Leur équipement financier est très limité (33 % n’utilisent pas de compte courant).
Diii 7 Il s’agit de célibataire jeune avec un niveau de revenu légèrement inférieur à la moyenne. Leurs résultats sont très mauvais pour joindre les deux bouts, planifier et choisir les produits, et juste en dessous de la moyenne pour suivre leurs comptes et se tenir informé. Leur équipement financier est très inférieur à la moyenne.
4 Ei 18 16 Ce sont principalement des jeunes femmes, célibataires ou en couple, avec des enfants. Ils ont les revenus les plus faibles Leurs résultats sont en-dessous de la moyenne pour joindre les deux bouts et très mauvais pour planifier, se tenir informé et choisir des produits. En revanche, ils sont très bons pour suivre les comptes. Ils ont un très faible accès aux produits financiers (35 % n’utilisent pas de compte courant).
Eii 2 Ce sont souvent des femmes d’âge moyen en couple avec enfants et aux revenus dans la moyenne. Leurs résultats sont très mauvais pour joindre les deux bouts, se tenir informé et choisir les produits, et en dessous de la moyenne pour planifier. Ils sont légèrement au-dessus pour suivre leurs comptes. Leur équipement financier est légèrement inférieur à la moyenne.
5 Fi 3 Ce sont principalement des jeunes avec enfants. Leurs revenus sont en dessous de la moyenne sans être les plus faibles. Leurs résultats sont très mauvais pour tous les domaines. Leur équipement financier est inférieur à la moyenne.

Source : d’après Atkinson et al. (2006).

Alors que les focus group préparatoires à l’enquête elle-même, considéraient les compétences financières comme la clef pour maintenir un budget équilibré, l’un des principaux résultats de l’analyse statistique est que « anyone with a sufficiently high income would be able to make ends meet, without them necessarily having many money-management skills » (Atkinson et al., 2006, p. 21). De la même manière, garder des traces de ses dépenses et consulter régulièrement son solde ne semblent pas être des éléments déterminants pour joindre les deux bouts.

Cette étude a le mérite de prouver statistiquement que ce n’est pas le niveau de compétences financières (principalement en termes de gestion ), qui fait la différence dans le fait de rencontrer ou non des difficultés pour joindre les deux bouts mais bien le niveau de revenu. Ainsi, une personne compétente mais aux revenus modestes aura une probabilité plus grande de faire face à des difficultés budgétaires qu’une personne avec peu de compétences mais un revenu élevé. En revanche, elle met en lumière le rôle joué par les produits et les connaissances bancaires.

Tout d’abord l’un des résultats explicites est que le niveau de connaissances monétaires et bancaires techniques est étroitement corrélé à l’âge275 et surtout au niveau de revenu (Tableau 14).

Tableau 14 : Niveau de revenus et manque de compétences bancaires
  Moyenne Premier quintile Dernier quintile
Ne savent pas lire le solde d’un relevé de compte 9 % 15 % 3 %
Ne parviennent pas à évaluer à partir d’un relevé de compte si un prélèvement à été réalisé 15 % 21 % 7 %
N’arrivent pas à savoir si avec un taux d’inflation de 5 % et un taux d’intérêt de 3 % il est valable d’épargner 21 % 29 % 12 %
Ne savent pas lire un graphique 25 % 38 % 11 %

Source : d’après Atkinson et al. (2006).

Ces compétences sont essentielles pour évoluer au sein de l’univers bancaire que ce soit pour utiliser les produits ou comprendre les engagements pris lors de leur souscription.

Le second résultat explicite est que le niveau de ces compétences techniques évalué par l’habileté à choisir les produits, s’élève parallèlement à celui de l’équipement bancaire. Là encore, les personnes ayant de bas revenus sont pénalisées puisque le niveau de revenu est précisément l’une des principales variables explicatives des difficultés d’accès aux produits bancaires (Kempson & Whyley, 1999 ; Sinclair, 2001 ; Carbo et al., 2005 ; Corr, 2006). Dès lors, comment expliquer qu’en dépit de ces plus faibles compétences techniques certaines personnes à bas revenus parviennent tout de même à joindre les deux bouts ?

Bien que cela ne soit pas exploré statistiquement par les auteurs de l’étude, une partie de la réponse peut être trouvée dans les caractéristiques des groupes établis. Si l’on considère les groupes Bi et Di très bons pour joindre les deux bouts en dépit de revenus faibles ainsi que ceux Dii et Ei qui parviennent a peu près à joindre les deux bouts en dépit de revenus extrêmement faibles, il apparaît que ces 4 groupes (35 % de l’échantillon) ont en commun d’être généralement composés de personnes d’âge moyen et ayant un faible voire très faible accès aux produits bancaires. Il nous semble que c’est là la clef.

En dépit de ces éventuelles conséquences, le faible accès aux produits bancaires permet selon nous à ces personnes d’exprimer des compétences ou savoir-faire dont les caractéristiques seraient difficilement compatibles avec les règles et normes d’usage des produits bancaires. Elles les ont progressivement acquises par leur pratique de la gestion budgétaire ce qui explique que les personnes plus jeunes dans des situations similaires rencontrent généralement plus de difficultés à équilibrer leur budget (groupes : Cii, Diii et Fi soit 14 % de l’échantillon)276.

La question n’est dès lors plus de savoir si la part des difficultés bancaires d’usage qui s’expliquent par les compétences des personnes tient à leur insuffisance, mais davantage si leurs compétences liées au processus d’appropriation bancaire et celles requises pour l’usage des produits bancaires ne sont pas en inadéquation.

Notes
275.

Plus les personnes sont âgées plus leurs connaissances monétaires et bancaires sont de qualité.

276.

 Seul le groupe Eii ne correspond pas à notre description. Ne représentant que 2 % de l’échantillon, il nous semble possible de ne pas en tenir compte faute de l’accès à la base de données pour analyser les explications possibles.