A. Une structuration inadaptée au besoin de conseil

Faute de potentiel économique, ce n’est pas la fidélisation et la qualité de l’outcome que les banques rechercheront mais uniquement la qualité de l’output, c'est-à-dire que les produits mis à disposition de ces clients le soient de manière la plus rentable possible. Pour cela, il leur faut minimiser aussi bien leur exposition aux risques que le coût de la prestation et ce, potentiellement au détriment de la qualité de l’outcome. C’est le recours aux dispositifs techniques et à la consolidation qui est alors privilégiés à la relation de service et au jugement(Chapitre 6). Rivaud-Danset (1995) s’intéressant à la relation de crédit banque-entreprise dans le cadre d’une approche conventionnaliste, identifie ainsi deux conventions de financement279 polaires rendant compte de l’hétérogénéité de l’articulation entre consolidation et jugement : la banque à l’engagement et la banque à l’acte280.

La « banque à l’engagement » voit la banque et ses clients agir comme de véritables partenaires privilégiant la qualité de l’outcome. Ils s’investissent réciproquement dans l’établissement d’un copilotage de qualité permettant de réduire l’incertitude, et évaluent leurs gains potentiels sur le long terme évitant que des difficultés conjoncturelles ne mettent un terme à la relation. À l’inverse, la « banque à l’acte » fait appel à la consolidation privilégiant l’acquisition d’information sur l’apprentissage réciproque. Il n’y a d’ailleurs pas de collaboration dans la mesure où ce sont les termes du contrat qui dictent le devenir de la relation : elle s’interrompt lorsque la qualité de l’output pour l’établissement se dégrade.

L’intérêt de ce ces conventions de financement est de souligner le lien entre les outils mis en œuvre (relation de service / outils de scoring) et le produit de la prestation qui est privilégié (output / outcome). Il existe un continuum d’articulations entre ces différentes composantes selon le potentiel commercial supposé des clients qui voient le niveau de conseil et de personnalisation décroître parallèlement à leur potentiel commercial.

Cette structuration par les établissements de crédit de la prestation compromet en grande partie la mise en œuvre d’une relation de service de qualité : comment parvenir à un véritable copilotage quand, comme nous avons pu le constater au cours de nos différentes enquêtes, les clients jugés les moins intéressants sont entre 800 et 1 000 à être regroupés au sein du « portefeuille agence » géré indistinctement par deux ou trois banquiers (généralement les moins expérimentés) et partageant leur temps entre les tâches administratives, le guichet et les rendez-vous commerciaux ?

Si la dimension relationnelle n’est pas totalement supprimée, elle est le plus souvent extrêmement limitée réduisant à la portion congrue le copilotage. Les recommandations délivrées par les systèmes de scoring en matière de rejet de paiement, sont ainsi suivies par les banquiers lorsqu’elles concernent les niveaux inférieurs de segmentation alors qu’elles sont véritablement réexaminées et donc parfois remises en cause pour les segments de niveau supérieur (Rowe, 1998). Autrement dit, à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchisation des clients, le jugement prend progressivement le pas sur la consolidation. La raison en est que la qualité de l’outcome devient un enjeu commercial pour la banque.

Telle qu’elle est structurée en direction des clients jugés à faible potentiel, la prestation de services bancaires repose principalement sur les dispositifs techniques laissant très peu de place à l’expression par les clients de leurs contraintes et de la singularité de leur situation. Cependant, cette dépersonnalisation ne réduit pas seulement l’espace laissé aux échanges mais affectent également l’analyse que les banquiers font des éléments dont ils disposent.

Notes
279.

 Dans son article de 1995, Rivaud-Danset identifie une troisième convention de financement qu’elle nomme « marché d’enchère ». Elle suppose que l’information soit publique c'est-à-dire qu’elle puisse « être confiée à un tiers spécialiste de la codification qui émet une cote admise par tous » (p. 242). Cette « cote » admise par tous existe en partie dans les pays anglo-saxon, il s’agit du score de crédit vendu par les Credit Bureaus dont le plus célèbre est le score « Fico ». Il fait perdre une partie de leur avantage concurrentielle aux banques qui entretiennent des relations de long terme avec leurs clients sans toutefois l’annihiler complètement (elles articulent les résultats de leurs propres systèmes de scoring à ceux des Credits Bureaus).

280.

 Ces deux conventions sont proches des catégorisations destinées à distinguer des idéaux types de relations bancaires et qui ont été élaborées par la suite : banque relationnelle / banque transactionnelle (Cusin, 2002, 2004, 2005) et banque de relation / banque à l’acte (Eber, 2001).