Conclusion chapitre 8

La modernisation bancaire, c'est-à-dire les choix organisationnels retenus par les établissements de crédit privilégiant la consolidation pour répondre à la contrainte de rentabilité, s’est traduite par une large standardisation de la prestation de services bancaires laissant peu de place au développement du copilotage. Pour préserver la profitabilité des relations établies, les professionnels de la banque ont ainsi transféré la responsabilité de la réduction de l’incertitude portant sur la qualité de l’outcome aux clients pour lesquels ils estimaient qu’une relation plus personnalisée était non rentable. De ce fait, ceux faisant face à des situations structurellement précaires mais également ceux connaissant des ruptures professionnelles ou familiales doivent trouver le plus souvent par eux-mêmes les réponses bancaires les plus adaptées. Ainsi, bien que ces deux éléments importent, c’est moins un problème de niveau de ressources (les surendettés et les interdits bancaires ne sont pas les plus pauvres des pauvres) ou de niveau de compétences budgétaires (elles sont également réparties au sein de la population) qu’un problème d’adéquation entre les règles et normes bancaires d’accès et d’usage fixées par les établissements bancaires et la réalité des situations et du processus de prise de décisions des clients.

La standardisation de la prestation a simultanément accru le niveau d’exigence à l’égard des clients tout en réduisant drastiquement les possibilités de médiation que peut encore parfois proposer le banquier entre les besoins de ces clients et ces exigences. Cette inadéquation se traduit donc par une aggravation des difficultés rencontrées non seulement en raison du manque de conseils techniques mais également en raison des caractéristiques relationnelles de la prestation. En effet, alors que leurs besoins sont particulièrement complexes et que leurs décisions doivent être prises dans un contexte d’urgence et émotionnellement marqué, c’est en l’absence de conseil et d’écoute de la part du professionnel bancaire que les clients doivent parvenir à les satisfaire. Le vécu du caractère hiérarchique de la relation et de celui souvent inflexible des « réponses » apportées affecte alors la prise de décision des clients rendant encore plus problématique l’exploitation des maigres espaces encore disponibles pour le copilotage.

Pour préserver à moindre coût la qualité de l’output, les choix bancaires organisationnels ont donc conduit à dégrader la qualité de l’outcome pour une partie des clients. Mais en retour, ceci a également accru le niveau de risque de ces clients y compris concernant la qualité de l’output. La structuration de la prestation de services bancaires est donc un facteur augmentant la probabilité pour ces clients que leurs difficultés économiques et/ou sociales ne se transforment en difficultés bancaires qui viendront in fine aggraver les précédentes. Autrement dit, si le niveau de risque des clients est fonction de leur situation socioéconomique et de leurs décisions, il est également inséparablement lié aux caractéristiques de la prestation de services bancaires. C’est pourquoi la probabilité qu’un même client ne parvienne pas à rembourser un crédit à la consommation n’est sans doute pas la même s’il s’adresse à un établissement de crédit spécialisé ou à une banque de détail, ou s’il s’adresse à un établissement commercial ou à une banque coopérative.

Notre analyse permet donc de contester les explications strictement individuelles des difficultés bancaires, tout comme celles en faisant le simple résultat de la précarisation de la société. Ces deux éléments (pratiques bancaires des clients et contexte socioéconomique) sont évidemment essentiels mais ils doivent être systématiquement considérés en relation avec les caractéristiques de la prestation de services bancaires. De ce point de vue, nous avons jusqu’à présent principalement détaillé en quoi la singularité des besoins d’une partie de la clientèle ne pouvait que très difficilement être prise en compte par le biais du copilotage en raison des effets de la modernisation bancaire. Mais la prestation de services bancaires ne se limite pas au copilotage surtout pour ces clients dont la satisfaction (c'est-à-dire la qualité de l’outcome) n’est pas un enjeu commercial pour la banque.

Il importe donc à présent de comprendre comment les établissements bancaires tentent de préserver la qualité de l’output sans se soucier de celle de l’outcome. Ce sont donc les dispositifs techniques (outils de scoring, processus de détection et de gestion des incidents, etc.) qui complètent et souvent se substituent au copilotage qu’il faut interroger pour comprendre les stratégies des établissements pour se protéger des risques dont ils transfèrent la réduction à leurs clients, analyse qui permettra de mettre en lumière la diversité des formes de difficultés bancaires d’accès et d’usage ainsi que leur interdépendance.