B. … mais pas si inintéressant que cela

Moins consommatrice de produits à forte valeur ajoutée et en revanche davantage demandeuse de services gratuits pour les clients mais coûteux pour la banque, la clientèle ayant de faibles revenus apparaît comme éloignée des attentes des établissements de crédit. On peut dès lors s’interroger sur la rentabilité pour les banques de servir de tels clients. Cette interrogation est d’autant plus légitime que Pastré (2006) explique que la moitié des clients des banques de détail ont une contribution négative au résultat des banques, les 30 % les plus rentables contribuant à hauteur de 70 % du produit net bancaire. Mais est-il pour autant possible de faire équivaloir 50 % des clients rentables et 50 % des clients les plus riches ?

Pastré (2006) se garde bien d’établir une telle équivalence. S’il souligne que les banques françaises servent toutes les clientèles contrairement à leurs consœurs britanniques notamment289, il constate seulement que « l’amélioration de la segmentation de la clientèle a mis en évidence des différences considérables de produit net bancaire entre les clients » (p. 128) dont l’ampleur peut aller de 1 à 100. Ni dans ce rapport ni dans d’autres (Banque de France, 2004 ; Blesson et al., 2005 ; Bourdin, 2006 notamment), il n’est proposée de données permettant d’évaluer la participation des différents segments de clientèle à la rentabilité des établissements bancaires.

Aux États-Unis où ces données sont publiques, il ressort notamment en matière de crédit que les ménages aux revenus les plus faibles dégagent une rentabilité supérieure à celles des ménages les plus riches, au point de subventionner les conditions tarifaires proposées à ces derniers (Ramsay, 2003). Mais cette comparaison souffre de deux limites. La première est que le niveau du taux de l’usure en France ne permet pas le développement d’un marché du crédit en direction des ménages les plus pauvres aussi profitable qu’il peut l’être aux États-Unis. La seconde est que la rentabilité d’un client ne se mesure pas à l’aune d’un seul produit mais de son portefeuille de produits et sur la durée de la relation entretenue avec son prestataire. Si nous ne disposons d’aucun élément chiffré sur cet aspect précis de la relation bancaire, nous avons en revanche recueilli des éléments de nature qualitative : au cours des nombreux entretiens que nous avons menés avec des professionnels du secteur bancaire occupant différents niveaux de responsabilité et ce dans différents réseaux, il nous a été très fréquemment affirmé que ce ne sont pas les plus riches qui participent le plus aux résultats.

D’après ces professionnels, c’est parmi la clientèle la plus riche que se trouvent les clients qui se voient proposer les conditions les plus avantageuses et qui négocient avec le plus d’efficacité le prix qu’ils payent. À l’inverse, les clients aux ressources modestes ou irrégulières ne se voient pas accorder de tels avantages et ne peuvent que rarement négocier les frais qui leurs sont facturés en cas d’incident. Sans aller jusqu’à prétendre que les clients les plus pauvres sont les plus rentables, il nous semble qu’il faut se garder de toute approche simplificatrice sur le niveau de rentabilité des différents segments de clientèle. Il nous paraît même probable que la distribution des clients rentables pour les banques de détail ne suivent pas une progression régulière. Les déclarations du médiateur de la Fédération Bancaire Française en 2004 dénonçant les pratiques des banques pour rendre profitable les relations avec les « petits clients » confortent d’ailleurs notre conviction290.

En l’absence de données quantitatives permettant de vérifier cette hypothèse, nous pouvons toutefois démontrer que la structuration de la prestation de services bancaires proposée aux clients aux ressources modestes ou irrégulières est pensée de manière à rentabiliser la relation établie autant que possible. Nous avons vu en quoi la nature du copilotage mis en œuvre avec cette clientèle répondait déjà à cette préoccupation, il importe à présent de voir en quoi les dispositifs techniques définis par les établissements participent également de cette stratégie faisant prévaloir la qualité de l’output sur celle de l’outcome.

Notes
289.

 Pastré (2006) souligne d’ailleurs que les établissements britanniques connus pour être plus rentables que leurs homologues français, n’ont pas à servir toutes les clientèles laissant penser que cet élément joue un rôle clef dans leur différentiel d’efficacité économique. Toutefois, lorsqu’il étudie les causes de ce différentiel de profitabilité, il complète cet élément par celui plus influent encore tenant au niveau élevé de la concentration du marché bancaire britannique et à son faible niveau de concurrence. Ce contexte permet de pratiquer des taux de marge et de commissions plus élevées qu’en France (p. 33).

290.

 « Les minicomptes dans le rouge font le beurre des banques », Libération, samedi 10 et dimanche 11 avril 2004, p. 27.