Le rachat de crédit n’est pas la réponse la plus fréquente en cas de difficultés à honorer ses mensualités ; les frais pour incident de remboursement le sont bien davantage. D’ailleurs, si l’on s’intéresse aux données statistiques disponibles pour les États-Unis, il apparaît clairement que le fait pour des utilisateurs de cartes de crédit de rencontrer des difficultés est une source de rentabilité importante pour les prêteurs (Manning, 2000 ; Sullivan et al., 2000 ; Ramsay, 2003). En effet, lorsqu’un client commence à rencontrer des problèmes de remboursement, la réponse qui est majoritairement apportée se compose de frais de retard, d’une hausse du taux d’intérêt pratiqué et de la proposition d’une augmentation du montant de la ligne de crédit. Ainsi, « the practice of charging default rates of interest, which often run into the 20 and 30 percent range, makes customers who give the clearest sign of trouble – missing payments – among the most profitable for the issuers » (Sullivan et al., 2000, p. 115). Cela est vrai pour l’ensemble des ménages, mais ça l’est également si l’on s’intéresse exclusivement aux ménages à faibles ressources.
Alors que la concomitance de taux d’intérêt élevé et d’un taux de non remboursement élevé semble valider l’hypothèse de sélection adverse (Ausubel, 1999), Ramsay (2003) l’infirme totalement en soulignant que les prêteurs exerçant leur activité en direction de cette clientèle maintiennent un niveau de profit élevé en segmentant efficacement le « marché » des emprunteurs à haut risque et en leur proposant des conditions très défavorables (Stavins, 2000). Cependant, si les difficultés de ces emprunteurs sont rentables, c’est en raison de l’absence ou presque de législation sur l’usure. Dès lors, les établissements prêteurs en France peuvent-ils adopter des stratégies semblables avec la contrainte d’une telle législation ?
La réponse est positive. S’intéressant aux conditions d’emprunt appliquées aux 20 % des personnes aux revenus les plus faibles (1er quintile de la population), Policis (2004) montre comment les fournisseurs de crédit revolving parviennent à contourner la limite du taux de l’usure en rentabilisant les difficultés que ces emprunteurs sont susceptibles de rencontrer (encadré 38). Se focaliser sur ce type de crédit est d’autant plus intéressant que ce sont les plus présents au sein des dossiers de surendettement305.
L’étude de Policis (2004) indique que 16 % des emprunteurs appartenant au premier quintile ont connu 3 retards de paiement ou plus et que ce chiffre monte à 20 % pour les allocataires de minima sociaux. Ce dernier chiffre est cohérent avec les observations de Audrey Daniel et Marie-Odile Simon (2001) indiquant que 13 % des allocataires ont rarement rencontré de telles difficultés (7 % pour la population globale), 11 % de temps en temps (3 % pour la population globale) et 9 % souvent. Si l’on considère les personnes ayant connu des difficultés souvent et de temps en temps, la proportion est comme pour Policis (2004) de 20 %. À partir de données sur la consommation moyenne de crédit revolving de cette clientèle (un crédit revolving de 2 400 euros dont 1 400 sont utilisés), l’étude de Policis (2004) donne à voir le coût « réel » du crédit revolving lorsque sont pris en compte ses différentes composantes (assurance facultative mais souscrite, intérêt, frais, tarification sanction). Pour cela, les chercheurs élaborent cinq scénarios de remboursement possibles (tableau 18).
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À l’instar des méthodes américaines, des pratiques de rentabilisation existent bien en France. Comme le montre Policis (2004) en matière de crédit revolving, elles passent moins par le coût affiché du produit que par les facturations liées aux difficultés de remboursement, difficultés d’autant plus fréquentes que pour 44 % des emprunteurs du premier quintile, le solde ne diminue pas au cours du temps. Plus largement, c’est l’ensemble des frais intervenant en cas d’incident de fonctionnement qui participent à la stratégie de rentabilisation de ces clients. Il nous a d’ailleurs été rapporté au cours de nos entretiens avec des professionnels bancaires que certaines agences réalisent plus de la moitié de leur produit net bancaire uniquement grâce à ce type de tarification.
Ainsi, bien que tous les clients se voyant facturer des frais suite à un incident ne deviennent pas nécessairement rentables, cette pratique le permet et, à minima, limite systématiquement leur coût tant qu’ils sont suffisamment solvables pour l’assumer. À l’instar du coût de la relation bancaire, ces « tarifications sanctions » varient d’un établissement à l’autre reflétant leur positionnement stratégique à l’égard des clients aux ressources limitées ou irrégulières. Déjà souligné lors de l’étude des surcoûts des difficultés d’usage (chapitre 3), le coût moyen des incidents bancaires varie de 70 à près de 170 euros selon les réseaux (CLCV, 2007)306 et nous avions calculé que celui d’une interdiction bancaire allait de 140 à 260 euros.
La stratégie des établissements de crédit en matière de gestion des difficultés de leur client s’apparente donc à une stratégie commerciale : tant que le client a les moyens de payer, des services lui sont facturés. Le fait qu’ils prennent le nom de rachat de crédit ou de tarification sanction ne change pas la nature de la logique à l’œuvre. La qualité de l’output de la prestation de services bancaires pour l’établissement peut ainsi être maintenue voire même accrue alors même que le client rencontre des difficultés et voit la qualité de son outcome se dégrader.
Ils représentent 70 % des crédits, ils sont présents dans 63 % des dossiers avec une moyenne de 6 crédits revolving par dossier (Banque de France, 2005).
La CLCV a considéré : un rejet de chèque de 80 euros, deux rejets de prélèvement et des frais dans le cadre de « commission d’intervention » pour deux opérations réalisées au débit (paiement par carte par exemple). Il est à noter que ces calculs ont été réalisés avant l’entrée en vigueur du décret plafonnant les frais facturés dans le cadre de rejet de chèques début 2008.