C. … jusqu’à la mise à distance

Lorsque le client montre des signes inquiétants d’élévation de son niveau de risque ou qu’il franchit certains seuils fixés par la banque (montant du découvert, survenue de deux incidents de remboursement de crédit, etc.), des procédures de mise à distance s’enclenchent afin de limiter les risques et les coûts pour l’établissement. Pour cela, le dossier des clients est pris en charge par le service recouvrement amiable puis/ou par le service contentieux307.

Le transfert des clients n’est pas parfaitement scientifique : il n’intervient pas systématiquement au moment précis où le client n’a plus les moyens de faire face aux tarifications pratiquées. À l’instar de la prestation de services bancaires en général, cet aspect de la relation subit l’influence d’une large automatisation des procédures : le transfert peut donc intervenir de manière trop précoce ou trop tardive pénalisant à la fois l’établissement et le client. Généralement, il fait suite aux décisions de rejet de paiements qui sont prises chaque matin par le salarié en charge du traitement des « suspends »308. Plus que ces carences, ce qui importe ici est que cette mise à distance de ces clients a pour raison d’être la préservation de la qualité de l’output. C’est à ce stade que l’affirmation des banquiers selon laquelle ils n’ont pas d’intérêt aux difficultés de leurs clients peut être vérifiée.

L’objectif du transfert du client de l’agence vers un service dédié est triple. Le premier est de « pacifier » les relations potentiellement tendues avec le banquier en agence en changeant d’interlocuteur et ainsi de favoriser la recherche de solutions. Le deuxième est de décharger le banquier de cette tâche afin de lui permettre de se focaliser sur son activité commerciale. Le troisième est de rendre aussi efficace que possible, du point de vue de l’établissement, la recherche de solutions en la confiant à des salariés spécialisés. Ceux-ci sont ainsi évalués en fonction du pourcentage d’accords obtenus au cours d’un laps de temps donné.

Bien que destinées à corriger les excès de la relation bancaire telle qu’elle se déroule en général, les relations établies dans ce cadre complémentaire n’en remettent pas fondamentalement en cause la logique. La primauté est toujours accordée à la qualité de l’output sur celle de l’outcome, et à la connaissance codifiée du client sur celle interpersonnelle. Dès lors, si une dimension relationnelle intervient, elle n’est qu’un simulacre de copilotage. Elle peut permettre de jouer sur la pression morale et la honte pour accélérer le remboursement ou à l’inverse – et semble-t-il plus efficacement – s’appuyer sur un discours de déculpabilisation et de compréhension. C’est le choix fait par Cofinoga qui l’a accompagné d’une modification du profil des personnes recrutées au sein de ces services privilégiant à présent des mères de famille plutôt que de jeunes hommes occupant là leur premier emploi. Bien que nous n’ayons pas obtenu les chiffres montrant la réussite de cette transformation, le représentant de Cofinoga nous a confié que ce changement a amélioré les résultats de ce service (Gloukoviezoff & Lazarus, 2007).

Que ce soit le rachat de crédit, les tarifications sanctions ou bien le recours aux services recouvrement amiable et contentieux, ces différents dispositifs techniques ont donc pour but de pallier la faiblesse du copilotage et de maintenir la qualité de l’output quitte à le faire au détriment de celle de l’outcome pour le client. Ils correspondent ainsi moins à des réponses aux difficultés d’usage des clients qu’à l’intégration de ces difficultés dans la stratégie commerciale globale des établissements. Bien qu’ils ne puissent en être tenus pour seule cause, on peut cependant s’interroger quant à l’influence de ces dispositifs sur la survenue de difficultés d’usage. En effet, comment attendre de la part des banquiers qu’ils prennent le temps de résoudre les difficultés de leurs clients de manière précoce alors même que cette recherche de solution est extrêmement coûteuse pour la banque et que de plus, jusqu’à un certain point, ces difficultés sont une source de revenus ? Du point de vue de la stricte rentabilité à court terme de la relation pour l’établissement de crédit, la faiblesse du copilotage ou sa mauvaise qualité peuvent être vues comme des ressources.

Plus que d’éviter ces difficultés, l’objectif des établissements de crédit est donc de les rentabiliser puis de s’en dégager lorsque la situation semble se compromettre irrémédiablement. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si les banques de détail qui ont la meilleure information sur leurs clients, sont les moins représentées en matière de crédit à la consommation au sein des dossiers de surendettement (Banque de France, 2005). Elles ont su se retirer à temps pour se protéger et préserver la qualité de leur output conduisant leurs clients à transférer leurs dettes auprès d’autres créanciers. Mais ces pratiques de rentabilisation et de mise à distance des clients en difficulté présentes à des degrés divers au sein de l’ensemble des réseaux bancaires, doivent également être envisagées du point de vue de leur influence sur le comportement des clients et de leur rôle dans la survenue de difficultés d’accès.

Notes
307.

 Le recouvrement amiable intervient généralement après deux impayés de crédit et le service contentieux après trois.

308.

 Chaque matin, les banquiers en agence reçoivent un listing comprenant l’ensemble des paiements pour lesquels le compte est insuffisamment provisionné. Ils doivent les traiter c’est-à-dire décider après avoir tenté d’appeler le client, s’ils le paient en creusant le découvert ou bien s’ils le rejettent. À ce stade les jugements moraux des banquiers peuvent s’exprimer car ils n’ont souvent que peu d’éléments pour évaluer s’il est légitime de payer ou non (le fait pour une personne en difficulté d’être abonnée à des services jugés non indispensables comme certaines chaînes de télévision payantes peut alors être un facteur aggravant). Lorsque plusieurs paiements sont rejetés, les clients concernés voient leur dossier transmis aux services recouvrement amiable puis contentieux.