A. Des clients qui se mettent en retrait

Les dispositifs techniques structurent la relation établie entre le banquier et ses clients. Souvent, ils en renforcent le caractère hiérarchique, mais parfois, ils viennent en contrarier ou en limiter les effets quand elle est de bonne qualité. Ainsi, le peu de produits adaptés, le coût des incidents de fonctionnement, et l’automatisation du traitement de ces difficultés sont autant de signes interprétés par certains clients comme la marque d’un désintérêt de la part de leur prestataire bancaire pour leurs difficultés. Même lorsque la relation établie avec leur banquier est de bonne qualité, ces clients craignent qu’il cherche moins une solution à leurs problèmes qu’à rentabiliser leur situation voire à fortement les inciter à changer d’établissement, en raison des contraintes techniques imposées par la banque.

Cette peur conduit les clients à ne pas révéler leurs problèmes tant qu’ils pensent pouvoir s’en sortir seuls. Ainsi, face au découvert qui se creuse et aux courriers envoyés automatiquement par la banque les sommant d’y remédier, ces clients peuvent trouver rationnel de puiser dans l’un des crédits revolving dont ils disposent. Plutôt que d’aller expliquer leurs difficultés au banquier et risquer de se voir retirer leur chéquier, ils pensent trouver là une réponse leur offrant du temps et leur évitant les sanctions immédiates. Le plus souvent de telles pratiques contribuent ultérieurement à aggraver la situation. Alors que ces comportements de mise en retrait peuvent apparaître aux banquiers comme irrationnels ou malhonnêtes, ils s’expliquent donc en partie par l’influence des dispositifs techniques qui corsètent la prestation.

Ce que nous décrivons là confirme l’hypothèse développée au cours de la deuxième partie de la thèse selon laquelle les caractéristiques de la prestation influent sur le niveau de risque du client. Nous l’avons montré pour la qualité de la relation entre le banquier et le client. Nous le voyons à présent en considérant les dispositifs techniques qui l’encadrent309. Ces éléments se complètent et rendent plus délicate la recherche précoce de solutions aux difficultés des clients, et la satisfaction de leurs besoins. La précocité est pourtant l’un des éléments essentiels de l’efficacité de ces réponses.

Du point de vue des établissements de crédit, les pratiques mises en œuvre se justifient par la contrainte de rentabilité guidant leur action : il est coûteux de mettre en œuvre un copilotage approfondi et les difficultés rencontrées sont en partie sources de revenu. Du point de vue des clients, leur mise en retrait du copilotage (ne pas contacter son banquier, lui dissimuler des informations, etc.) peut également s’expliquer par une volonté de se protéger des conséquences anticipées de la réaction de la banque (sanctions).

Pas plus les pratiques des établissements de crédit que celles des clients ne sont totalement homogènes. Confrontés à une chute de revenus, certains clients renvoient leur carte de crédit, d’autres la conserve pour faire face à des urgences alors que les troisièmes s’en servent davantage (Rowlingson & Kempson, 1995). Cependant, ces pratiques mettent systématiquement à l’épreuve la confiance entre client et banquier, confiance indispensable à la qualité de la prestation. Parfois, la confiance évoluera vers la méfiance voire la défiance. D’autre fois, elle sera impossible à établir. Dans tous les cas, ces dispositifs techniques structurant la prestation favorisent le développement des difficultés bancaires, notamment parce qu’ils conduisent à transférer aux seuls clients la responsabilité de la qualité de l’outcome et donc de la réduction de l’incertitude qui l’accompagne.

Notes
309.

 En ce sens, le schéma 7 décrivant les relations qui composent la prestation de services bancaires montrent bien que le client est simultanément en relation avec le banquier (salarié de la banque) et la banque qui fixe les caractéristiques organisationnelles de la prestation.