§1. Des exigences de solvabilité de la prestation de services bancaires débouchant sur des difficultés d’accès

En dépit de la pénurie de données statistiques fiables, il est possible de montrer la réalité des difficultés d’accès que rencontre une partie de la population ainsi que la diversité des pratiques bancaires.

A. Un accès pour le moins différencié

Nous n’avons eu de cesse de le rappeler au cours de cette thèse : il n’existe pas à ce jour de statistiques satisfaisantes en matière de difficultés bancaires d’accès. Tout au plus est-on en mesure d’estimer la population n’ayant pas accès à tel ou tel produit310 et de constater que la population des allocataires de minima sociaux rencontrent des difficultés d’accès plus grandes que le reste de la population en raison de la nature et du montant de leurs ressources.

Ainsi, alors que moins de 1 % de l’ensemble des ménages n’a accès à aucun compte, c’est le cas de 2 % des allocataires de minima sociaux (Daniel & Simon, 2001 ; Gloukoviezoff & Monrose, 2004), et alors que seulement 1 % n’a pas accès au compte de dépôt, ils sont entre 6 % (Gloukoviezoff & Monrose, 2004) et 8 % (Daniel & Simon, 2001) dans cette situation. En matière d’accès au chéquier, l’écart est encore plus frappant : alors que seulement 4 % de la population n’en possèdent pas, ils sont entre 41 % (Daniel & Simon, 2001) et 46 % (Gloukoviezoff & Monrose, 2004) dans cette situation. Il apparaît même qu’entre 14 % (Daniel & Simon, 2001) et 20 % (Gloukoviezoff & Monrose, 2004) des allocataires ne disposent ni de moyens de paiement scripturaux ni de carte de retrait, n’ayant alors d’autre recours que le guichet pour accéder à leurs ressources. Seulement 1 % de la population globale est dans cette situation.

Pour le crédit, il n’existe pas à ce jour de données satisfaisantes permettant de quantifier le nombre de personnes n’y ayant pas accès. En effet, le seul fait de ne pas en disposer ne suffit pas à identifier une situation marquée par la présence de difficultés d’accès. L’étude de Policis (2004) indique que 57 % des ménages appartenant aux deux déciles les plus modestes de la population estiment impossible ou difficile d’obtenir un crédit de 750 euros et, parmi eux, 42 % subissent des conséquences négatives au travers de l’impossibilité de réaliser certains achats que le crédit aurait rendus possible. Il y aurait donc un peu plus de 2,8 millions de ménages (11,4 % de l’ensemble des ménages) qui se considèrent comme exclus du crédit et 1 200 000 (4,8 % de l’ensemble des ménages) confrontés au processus d’exclusion bancaire au titre du crédit (difficultés d’accès et conséquences négatives).

Cependant, il convient de saisir ces chiffres avec prudence. D’une part, ils ne portent que sur les 5 millions de ménages les plus pauvres (probablement, y-a-t-il également des ménages exclus du crédit parmi les autres déciles). D’autre part, l’échantillon d’enquête ne compte que 900 personnes. En revanche, si établir le nombre de ménages ou de personnes concernées par des difficultés d’accès au crédit est une tâche délicate, démontrer que ces difficultés existent est beaucoup plus aisé.

André Babeau (2006) en donne une illustration en s’intéressant à la répartition des nouveaux crédits octroyés en 2000 par décile de revenu. Il montre ainsi la corrélation étroite entre ces deux variables au moins jusqu’au neuvième décile (tableau 19). Pour le dixième, il explique que le montant du revenu annuel par tête pour ce décile est de plus de 25 000 euros contre 16 000 pour le neuvième expliquant que ces ménages puissent « dans de nombreux cas s’en passer » (Babeau, 2006, p. 19).

Tableau 19 : La répartition des nouveaux crédits à la consommation selon le décile de revenu des ménages en 2000
Décile
(du plus modeste au plus aisé)
Poids dans la population des individus Part du revenu disponible Part dans la production de nouveaux crédits Part du revenu sur part dans les nouveaux crédits
1 5,1 2,8 1,3 46,4
2 5,6 4,5 3,0 66,7
3 6,8 5,6 4,0 71,4
4 7,8 6,8 7,8 114,7
5 9,4 8,1 9,3 114,8
6 10,5 9,5 11,2 117,9
7 12,1 11,0 12,0 109,1
8 13,7 12,8 13,7 107,7
9 14,5 15,3 19,2 125,5
10 14,5 23,7 18,6 78,5
Total 100 100 100 100

Source : Babeau (2006).

Les difficultés d’accès au crédit apparaissent de manière flagrante dans la mesure où la moitié des ménages aux revenus les plus faibles ont accès à un quart des crédits accordés sur une année alors que la moitié aux revenus les plus élevés en représente les trois quarts. Le ratio part des crédits obtenus – part qu’occupe le décile dans la distribution des revenus en donne une vision encore plus précise : se situant entre 107 % et 125 % pour les ménages des quatrième au neuvième décile, il chute à un peu plus de 70 %, puis 66 % et enfin 46 % à mesure que l’on se rapproche du premier décile. Babeau (2006) note ainsi que leur part dans la production nouvelle de crédit est bien inférieur à leur part dans le revenu disponible : « 8,3 % contre près de 13 %. Symétriquement, les six déciles intermédiaires (numérotés de 4 à 9 dans le tableau) rassemblent 63,5 % du revenu disponible des ménages mais 73,2 % des nouveaux crédits » (p. 19).

Notes
310.

Voir tableaux 4 et 5 pour un récapitulatif des données disponibles.