B. Des difficultés d’accès liées aux probables difficultés d’usage ?

Constater l’existence d’inégalités d’accès ne suffit pas à en comprendre les causes. Pour cela, faute de travaux statistiques suffisamment poussés en France, il est nécessaire de s’appuyer sur les éléments de connaissance issus des travaux anglo-saxons.

Il apparaît que les difficultés d’accès concernent davantage les chômeurs de longue durée, les retraités, les personnes dans l’incapacité de travailler pour des raisons de santé, celles à la tête d’une famille monoparentale, certaines minorités ethniques, et les allocataires de minima sociaux (Kempson & Whyley, 1999 ; Kempson et al., 2000 ;Sinclair, 2001 ; Carbo et al., 2005 ; Corr, 2006). Sans prétendre dériver directement de ces observations un constat pour la situation française, on peut remarquer que les profils ayant la probabilité la plus grande de faire face aux difficultés d’accès, sont ceux dont le rapport à l’emploi ou la situation familiale sont les plus précaires. Ce sont d’ailleurs ces deux éléments qui paraissent avoir le pouvoir explicatif le plus fort pour Kempson et Whyley (1999).

Au-delà des profils, les difficultés d’accès s’expliquent ainsi par la probabilité de rencontrer des difficultés d’usage liées au rapport à l’emploi ou à la situation familiale qui compromettent la solvabilité de ces clients. Mais pour donner du sens à ce constat et éviter de le naturaliser alors qu’il est seulement le résultat d’une situation particulière, il est nécessaire de l’inscrire dans la dynamique de notre analyse. Pour ce faire, il est utile d’intégrer l’éclairage apporté par les travaux menés en termes de « frontières d’accès » (Beck & Torre, 2006 ; Beck et al., 2007a) dont David Porteous (2005) propose sans doute l’analyse la plus éclairante. Ces travaux distinguent plusieurs catégories de clients en fonction de leur accès effectif aux produits bancaires (le fait d’avoir accès et d’utiliser un produit), catégories pour lesquelles des réponses différentes doivent être privilégiées afin d’accroître leur accès (tableau 20).

Tableau 20 : Frontière d’accès et réponses possibles
Catégories de clients Modalités de leur bancarisation
Ceux ayant effectivement accès (1) C’est autour d’eux que se trace la frontière d’accès
Ceux qui le pourraient mais choisissent de ne pas y avoir accès (2) Ils constituent la limite naturelle du marché. Aucune démarche n’est possible pour les bancariser
Ceux qui le pourraient mais qui ne l’ont pas encore fait (3) Porteous préconise de libéraliser davantage le marché bancaire afin de permettre aux banques de servir ces clients sans compromettre leur rentabilité
Ceux qui le pourraient si les caractéristiques des produits ou du marché venaient à changer (4)
Ceux qui sont inatteignables par des moyens marchands (5) Pour Porteous, seule une politique redistributive (banque dédiée, subventionnement, etc.) paraît pouvoir bancariser cette population

Source : Élaboration personnelle à partir de Porteous (2005).

Plus que le détail des réponses apportées, il faut souligner que Porteous (2005) développe son analyse en admettant implicitement l’optimalité des caractéristiques de la prestation de services élaborée par les établissements de crédit311. Ce faisant, il n’envisage pas les effets potentiels d’une évolution de ces caractéristiques sur la frontière d’accès elle-même.

En raison des liens entre caractéristiques de la prestation et niveau de risque des clients, un dosage différent entre copilotage et dispositifs techniques peut déplacer la frontière d’accès entre la catégorie 1 et celles 3 et 4 mais également entre celles-ci et la catégorie 5. Autrement dit, le tracé de la frontière entre ceux bancarisables par des établissements de crédit évoluant dans un univers concurrentiel et ceux considérés comme atteignables uniquement suite à l’intervention des pouvoirs publics, est extrêmement sensible au caractéristiques de la prestation.

Les profils des personnes faisant face à des difficultés bancaires d’accès que nous avons présentés précédemment, ne sont donc pas naturels mais relatifs à un type de prestation de services bancaires donné. Ils découlent des pratiques mises en œuvre tant par les professionnels que par les clients afin d’éviter de subir les conséquences négatives de l’établissement d’une relation bancaire. Pour les premiers, il s’agit d’éviter d’être en relation avec des clients dont la solvabilité est jugée insuffisante pour supporter les coûts induits par le type de prestation proposé et la stratégie de rentabilisation à l’œuvre. Alors que pour les seconds, il s’agit précisément d’éviter ces coûts lorsqu’ils ont la possibilité de les anticiper. L’influence du type de prestation proposé sur l’ampleur des difficultés d’accès est d’ailleurs illustrée par la différence d’ouverture des différents réseaux bancaires aux différents profils de clientèle.

Notes
311.

 Hypothèse qui découle de l’efficience du fonctionnement des marchés et du fonctionnement de la concurrence.