C. Diversité des stratégies selon les réseaux bancaires

À défaut d’une étude exhaustive portant sur l’accessibilité des différents réseaux bancaires pour des personnes ayant un profil jugé trop risqué, nous avons rassemblé différents éléments qui permettent d’éclairer différentes facettes de ce phénomène.

Le premier concerne les allocataires de minima sociaux dont nous avons vu qu’ils subissaient des difficultés d’accès supérieur à la moyenne. Il apparaît que la Banque Postale joue un rôle essentiel pour limiter leur mise à l’écart. Il est généralement admis qu’entre 40 et 50 % des allocataires perçoivent leurs minima sociaux par le biais de cet établissement312, toutefois, cela ne suffit pas pour évaluer son rôle. D’une part, parmi les allocataires 4 % disposent uniquement d’un livret d’épargne dont la Banque Postale avec la Caisse d’épargne sont les principaux fournisseurs, mais qui ne correspond pas aux standards d’une bancarisation minimale (encadré 6). D’autre part, en matière de compte de dépôt, 3 % des allocataires qui en ont un auprès de la Banque Postale en ont également un dans un autre établissement. Ces précisions faites, il apparaît tout de même que 26 % des allocataires de minima sociaux ont accès à un compte de dépôt exclusivement grâce à la Banque Postale, alors même que la part de marché de cet établissement sur ce type de produit oscille entre 7 et 8 %. Ce chiffre monte même à 35 % pour la sous-population des allocataires du RMI (Gloukoviezoff & Monrose, 2004). Cette surreprésentation illustre bien la plus grande ouverture de cet établissement à ce type de clientèle que ne le proposent les autres établissements.

Un deuxième élément datant de 2002 est issu de l’étude OPERBAC313. Les données dont nous avons pu disposer portent sur les parts de marché des principaux réseaux bancaires sur l’ensemble des produits à destination de la clientèle de particulier314 et ce, à la fois pour la population globale mais également pour quatre sous-catégories de population : les personnes ayant des revenus inférieurs à 610 euros et celles avec des revenus se situant entre 610 et 915 euros, ainsi que les mêmes données quand ces niveaux de revenus ne concernent plus la personne mais son ménage d’appartenance315.

Tableau 21 : Taux de pénétration des principales enseignes sur les clientèles « modestes » en 2002
Tableau 21 : Taux de pénétration des principales enseignes sur les clientèles « modestes » en 2002

En vert : les catégories surreprésentées.
Source : Sondage OPERBAC de CSA réalisé en 2002.

Ce tableau permet de souligner que le degré d’ouverture des différents réseaux bancaires aux clients aux ressources modeste varie fortement, ce qu’une représentation graphique rend encore plus lisible (graphique 13).

Graphique 13 : Parts de marché relatives sur la « clientèle modeste » (revenu mensuel de la personne interrogée)
Graphique 13 : Parts de marché relatives sur la « clientèle modeste » (revenu mensuel de la personne interrogée)

Source : d’après sondage OPERBAC de CSA réalisé en 2002.

La Banque Postale, la Caisse d’Épargne et le Crédit Agricole voient ces clients sur-représentés alors qu’ils sont sous-représentés au sein du Crédit Mutuel, de la BNP, de la Société Générale et du Crédit Lyonnais. Si l’on considère les clients appartenant à un ménage dont les ressources sont inférieures à 610 euros par mois, la sous-représentation est même de pratiquement 7 points au sein de la BNP (3,8 si l’on considère le revenu des personnes).

Afin de compléter ces éléments, il est intéressant de considérer, à l’inverse, l’ouverture de ces réseaux à la clientèle opposée : les clients « mass affluent » c'est-à-dire ceux détenant des actifs à investir dépassant les 30 000 euros. Là encore, la hiérarchie qui s’établit est significative.

Graphique 14 : Proportion de clients « mass affluent » dans l’ensemble de la clientèle
Graphique 14 : Proportion de clients « mass affluent » dans l’ensemble de la clientèle

Source : Société Générale (2002).

Cette clientèle fortunée représente ainsi une part de la clientèle globale de chaque établissement bien plus importante au sein des banques commerciales qu’au sein des banques coopératives et de celle postale. En complément du tableau précédent, ces données illustrent bien le différentiel de stratégie quant aux caractéristiques de la prestation de services bancaires proposée. Sans pour autant être totalement adaptée, elle l’est davantage au sein des réseaux qui accueillent de manière la plus large la clientèle aux ressources modestes.

Enfin, un troisième élément peut venir étayer encore ces éléments en s’intéressant cette fois aux parts de marché des différents réseaux bancaires relativement à un produit destiné en théorie exclusivement aux classes populaires : le livret d’épargne populaire (LEP) (graphique 15)316.

Graphique 15 : Part de marché relative sur le LEP
Graphique 15 : Part de marché relative sur le LEP

Source : Caisse nationale des caisses d’épargne (2004) données non publiées.

Là encore, la part de marché de la Caisse d’épargne, de la Banque Postale et du Crédit Mutuel sur ce produit d’épargnea priori destiné à une clientèle aux ressources limitées est plus importante que leur part de marché moyenne illustrant leur plus grande ouverture à cette clientèle.

Bien que chacun de ces éléments considérés isolément puisse être tenu pour insuffisant afin d’accréditer la thèse d’une différenciation par les établissements bancaires des caractéristiques de la prestation de services bancaires proposée, leur concordance permet de considérer cette hypothèse comme largement fondée. Cette différenciation a pour finalité d’éviter les clients jugés les moins rentables, niveau minimal qui diffère selon les établissements en fonction de leurs valeurs et de leur mode de gouvernance. Tout comme pour les difficultés bancaires d’usage, considérer les difficultés d’accès suppose de prêter attention à la diversité des acteurs qui évoluent au sein du secteur bancaire. Si en faire une catégorie homogène est parfois nécessaire et cohérent pour l’analyse de points précis, faire de cette homogénéité une règle conduit à s’aveugler. Il serait alors impossible de prendre en compte les subtilités de ce qui se joue entre établissements de crédit et clients et les latitudes qui existent pour agir efficacement contre ces difficultés. Mais si ces différences d’ouverture à la clientèle au profil considéré comme trop risqué sont le reflet de stratégies commerciales, il importe d’en comprendre les modalités de traduction concrète.

Notes
312.

Ce sont les chiffres avancés par l’établissement postal.

313.

 Les études OPERBAC sont des études de marchés menées régulièrement par le groupe CSA ( www.csa-fr.com ).

314.

Compte tenu de la multibancarisation, la somme des parts de marché est supérieure à 100.

315.

 Pour mémoire, en 2002, le seuil de pauvreté monétaire se situait à 758 euros (seuil européen à 60 %) et à 631 euros (seuil français à 50 %) pour une personne seule (source : Insee).

316.

 Le LEP n’était accessible qu’aux ménages dont le niveau d’imposition sur le revenu n’excédait pas 709 euros en 2006.