A. Améliorer les connaissances des consommateurs : l’éducation financière

Comme l’a montré l’étude d’Atkinson et al. (2006), les ménages aux ressources limitées ont souvent une connaissance plus faible du fonctionnement des produits bancaires. Bien que cela tienne à un manque de pratique, la réponse apportée passe par un enseignement théorique : l’éducation financière. Associant information et formation des consommateurs, elle consiste à diffuser des éléments de connaissance « génériques » c’est-à-dire non personnalisés.

Encadré 42 : Les principaux acteurs de l’éducation financière en France
Aujourd’hui, le principal acteur de l’éducation financière en France est l’association Finances et Pédagogie. Créée en 1957 par les Caisses d’épargne, elle fonctionne de manière proche du terrain avec de nombreux formateurs qui se rendent auprès des associations, établissements scolaires ou collectivités locales pour réaliser des formations collectives. Bien que délicat à évaluer, l’association revendique atteindre 75 000 personnes annuellement.
La montée de la thématique de l’éducation financière à également conduit d’autres acteurs à s’investir dans ce champ principalement sous la forme de site web. C’est le cas de la Fédération bancaire française qui a créé mi-2004 le site « Les clés de la banque » ( www.lesclesdelabanque.com ) et de l’Association des marchés financiers qui a créé mi-2007 le site « La finance pour tous » ( www.lafinancepourtous.com ). Ces sites proposent de nombreux livrets d’information, lettres types et conseils pour les principales questions que peuvent se poser les consommateurs. Seul le second site indique son niveau de fréquentation qui serait de 360 000 visites par an.

Parce qu’elle est en parfaite cohérence avec les principes de l’idéologie néolibérale (efficacité de la régulation par le marché et individualisme), l’éducation financière est considérée de manière croissante comme la pierre angulaire de la lutte contre l’exclusion bancaire tant au niveau national355 qu’européen356 (Carbo et al., 2005 ; RFA, 2008). Elle est censée avoir un effet positif sur le fonctionnement du « marché » en améliorant la rationalité des consommateurs et ainsi limiter les effets de ses imperfections. Pourtant, à supposer que l’exclusion bancaire soit seulement le fruit de ces imperfections – ce qui n’est pas le cas –, il n’existe aucune évaluation d’impact rendant compte du caractère positif des actions menées par les différents dispositifs d’éducation financière et justifiant cet intérêt.

Mais plus que la réalité de son efficacité – il est probable qu’elle ne puisse pas avoir d’effets négatifs –, c’est la place qui lui est accordée en tant que réponse à l’exclusion bancaire qui pose problème. Trois dangers principaux peuvent être identifiés.

Tout d’abord, l’efficacité de l’éducation financière repose sur la possibilité réelle pour les personnes de convertir ces éléments d’information en décision puis en action lorsqu’elles font face à une difficulté d’accès ou d’usage. Nous retrouvons là la logique des capabilités. Il est ainsi nécessaire que ces informations soient disponibles à l’instant « t » (que la personne s’en souvienne ou qu’elle puisse y avoir accès), qu’elle dispose des capacités cognitives suffisantes pour traiter ces informations, qu’elle soit dans une situation émotionnelle qui n’altère pas ces capacités, et qu’une réponse alternative cohérente avec la mise en œuvre de ces savoirs bancaires existe (possibilité de négocier avec son banquier, existence d’un produit aux caractéristiques adaptées). Pour les personnes confrontées à la précarité, nous avons vu que ces conditions étaient rarement réunies. Si l’éducation financière peut avoir des effets positifs, il est probable qu’ils ne se développent véritablement que pour ceux disposant déjà d’un niveau de connaissances élevé ou se trouvant dans des situations moins complexes (Wilhelmsson, 1997).

Ensuite, mettre l’éducation financière au cœur de la lutte contre l’exclusion bancaire conduit à laisser de côté l’importance du conseil. La prestation de services bancaires est une relation de service et suppose donc l’intervention personnalisée de l’expert. Si l’éducation financière, à condition qu’elle soit efficace, peut favoriser la qualité de cette relation, elle ne peut en aucun cas s’y substituer.

Enfin, parallèlement à la remarque précédente, en braquant le projecteur sur le caractère inapproprié du comportement et des décisions du consommateur, les caractéristiques de la prestation à laquelle il a accès et la situation au sein de laquelle il évolue, sont laissées dans l’ombre. Elles constituent pourtant les éléments structurants du processus d’exclusion bancaire.

Si l’éducation financière sous ses différentes formes constitue un mode de prévention de l’exclusion bancaire d’autant plus nécessaire que les produits bancaires ne cessent de se complexifier, elle ne peut en aucun cas être à la base d’une politique de lutte contre ce phénomène. La probabilité qu’elle occupe cette place n’est pas négligeable dans la mesure où il s’agit d’une réponse extrêmement peu coûteuse pour les professionnels : elle se développe de manière externe au déroulement de la prestation et ne suppose donc aucune remise en cause de leur part. Elle peut également s’avérer convaincante au-delà des prestataires. En expliquant implicitement les difficultés bancaires des personnes par leur manque de compétences, elle entre en résonnance avec les préjugés les plus courants sur la pauvreté qui font des pauvres eux-mêmes les responsables de leur situation. Si la responsabilité des clients dans la mauvaise qualité de la prestation doit impérativement être prise en compte et qu’à ce titre l’éducation financière a un rôle à jouer, la recherche de réponse à l’exclusion bancaire doit passer avant tout par le ciblage des dysfonctionnements des sociétés financiarisées qui expliquent ce phénomène.

Notes
355.

Voir notamment le rapport du Conseil économique et social sur le surendettement (Crosemarie, 2007) ou bien encore, le n° 495 du 31 janvier 2005 d’Actualité Bancaire publié par la FBF.

( http://www.fbf.fr/Web/internet/content_actualitebancaire.nsf/(WebPageList)/2298B17F7B21669DC1256F9A004AB063/$File/AB495.pdf ).

356.

 La commission européenne ( http://ec.europa.eu/internal_market/finservices-retail/capability/index_fr.htm ) soutien et finance la constitution de réseaux d’échange de bonnes pratiques sur cette thématique (voir notamment le site du Financial Education and Better Access to Financial Services ( http://fes.twoday.net/ ) ou de l’European Consumer Debt Network ( http://www.schuldnerberatung.at/public_html/ecdn-joomla/ )).