B. Améliorer l’information disponible pour les prêteurs : le fichier positif

Outre l’amélioration de la rationalité des consommateurs, un autre objectif est la réduction de l’asymétrie d’information dont serait victime le prestataire et qui aurait pour conséquence les risques de sélection adverse et d’aléa moral. Limiter la probabilité que surviennent ces deux types de difficultés suppose d’améliorer la quantité et la qualité de l’information disponible pour le prestataire lorsqu’il évalue le niveau de risque d’un client potentiel.

Parmi les réponses qui pourraient être apportées, une revient de manière récurrente depuis 1989 : l’instauration d’un fichier (complémentaire au FCC et FCIP) regroupant les informations concernant la situation financière des personnes (dit « fichier positif » ou « centrale positive ») et destiné à alimenter les outils de scoring développés par les établissements de crédit.

Encadré 43 : La diversité des « fichiers positifs »
La notion de fichier positif recouvre des réalités variées au sein des différents pays où ils existent357. Leur mode de fonctionnement peut se rapprocher des Credit Bureaus anglo-saxon qui recensent l’information la plus large possible sur les emprunteurs potentiels (niveau d’endettement mais également existence d’arriérés de paiement, niveau de revenu, situation familiale, etc.) et qui en proposent une exploitation afin de déterminer un niveau de risque du client concerné. Mais il peut également se limiter à une centralisation des encours de crédit et des éventuels arriérés les concernant comme c’est le cas de la centrale positive belge. Les prêteurs ont l’obligation de consulter cette base avant d’octroyer un prêt mais ils ne peuvent exploiter globalement la totalité du fichier pour affiner leur modèle de scoring.

L’amélioration supposée de la qualité de l’évaluation du prestataire permise par un tel fichier, est censée élargir l’accès aux produits bancaires à des personnes laissées de côté faute d’informations suffisantes. Elle doit également permettre de limiter les risques de difficultés d’usage et plus précisément de surendettement en permettant au prêteur d’avoir une vue plus fine de l’endettement réel de son client potentiel. En dépit de ces espérances, l’évaluation des différents types de fichiers positifs existant en Europe au regard de l’amélioration de l’accès au crédit et de la lutte contre le surendettement par la CNIL (2005) conclut que « aucun élément ne permet d’établir l’efficacité du dispositif au regard des finalités avancées » (p. 25). Si un fichier positif ne paraît pas apporter de réponse satisfaisante à la problématique de l’exclusion bancaire, c’est qu’il présente trois failles majeures.

La première faille constitue sans doute le principal motif d’opposition de la CNIL au fichier positif : les conséquences pour la protection de la vie privée. Ce danger358 est lié à l’utilisation pouvant être faite d’un tel fichier lorsqu’il contient des informations liées aux différentes formes d’impayés, aux revenus, à la situation professionnelle ou familiale, etc. Il constitue alors potentiellement un moyen d’évaluation de la solvabilité et donc de notation de chaque membre de la société. C’est le cas dans les pays anglo-saxon où les credit bureaus sont présents mais c’est également le cas en Allemagne avec la SCHUFA ou bien encore en Italie ou en Espagne. En donnant accès à ces informations non seulement aux offreurs de crédit mais également aux sociétés de fournitures d’énergie, de location de logement, et même « aux employeurs désirant apprécier la solvabilité de leurs salariés » (CNIL, 2005, p. 6), un tel fichier fait courir un risque particulièrement élevé de marginalisation et d’exclusion sociale pour ceux qui n’ont pas de notation faute d’historique de crédit ou sont mal notés en raison de difficultés passées.

La deuxième faille concerne l’élargissement de l’accès au crédit à des populations qui en sont actuellement exclues. Cet objectif peut être atteint si un tel fichier réduit le coût d’évaluation du risque et donc le coût du crédit. Il est alors possible de repousser les « frontières du marché » (Porteous, 2005). C’est de ce point de vue (l’accroissement de l’accès au crédit) que les différentes expériences internationales de fichiers positifs donnent les meilleurs résultats (CNIL, 2005). Cela s’explique notamment par l’accroissement de la concurrence induit par la mise à disposition de l’ensemble des acteurs d’une information plus complète que celle précédemment disponible359. Toutefois, un bémol doit être apporté à ce constat positif : l’absence de réglementation relative à l’usure dans les pays où l’accroissement de l’accès au crédit a été le plus significatif (CNIL, 2005). Son existence en France devrait limiter les effets de l’introduction d’un tel fichier pour les clients jugés les plus risqués, la concurrence entre établissement se déplaçant alors sur le niveau des taux proposés et bénéficiant véritablement qu’aux clients ayant déjà accès au crédit.

Enfin, la dernière faille liée à l’introduction d’un fichier positif porte sur son efficacité pour lutter contre les difficultés d’usage que sont les impayés de crédit et le surendettement. Si l’apport d’un fichier de ce type améliore l’évaluation d’une demande de crédit, son efficacité paraît douteuse en matière de surendettement quand on sait que 74 % de ces situations font suite à un accident de la vie (Banque de France, 2005). Dans ces cas là ce sont principalement les crédits existants qui posent problème. Tout au plus, un tel fichier peut limiter la souscription à un grand nombre de crédits supplémentaires. La problématique de l’endettement existant est d’autant plus délicate qu’il est nécessaire de considérer les lignes de crédit revolving associées à des cartes de fidélité. Elles ne sont généralement pas utilisées jusqu’au moment où un accident de la vie ou une envie (comme l’équipement de la maison après son achat) pousse à les solliciter. Le fichier positif est impuissant pour éviter ces situations dans la mesure où, au nom du respect de la concurrence, il semble très difficile de fixer un seuil au nombre de cartes de fidélité mises à disposition des clients (CNIL, 2005).

Encadré 44 : Les leçons de la centrale positive Belge
L’expérience belge de centrale positive est souvent citée comme étant celle dont il faudrait s’inspirer pour la transposer en France360. Toutefois, l’analyse des effets de son introduction sur les difficultés d’usage incite à la prudence sur les résultats que l’on peut en attendre en France.
Si l’on s’intéresse à l’évolution du nombre de personnes ayant au moins un contrat de crédit défaillant, on constate qu’il n’a cessé de diminuer depuis 2003 et l’instauration de la centrale positive alors que dans le même temps le nombre de personnes enregistrées pour au moins un crédit augmentait chaque année. De manière similaire, le nombre de contrats de crédit défaillant baisse chaque année à l’exception de l’année 2004 où il connaît une légère hausse de 0,18 %.
Tableau 27 : Effets potentiels de la centrale positive sur les difficultés d’usage
Taux de croissance 2001-2002 2002-2003 2003-2004 2004-2005 2005-2006
Nombre de personnes ayant au moins un contrat de crédit défaillant 1,19 % -12,19 % -1,09 % -1,90 % -1,53 %
Nombre de contrats de crédit défaillants 1,94 % -8,13 % 0,18 % -1,37 % -1,78 %
Nombre de crédits revolving défaillants 11,06 % 1,14 % 5,62 % 3,57 % 0,57 %
Montant moyen des arriérés 22,98 % -20,56 % 0 % 0,64 % -0,37 %
NB : Les évolutions de 2002-2003 sont très fortement influencées par des suppressions dues au raccourcissement du délai de conservation de deux à un an pour les contrats défaillants régularisés.
Source : BNB (2007).Pour autant, est-ce que ces bons résultats suffisent à légitimer l’instauration d’un fichier positif ? Deux éléments nous paraissent appeler un complément d’analyse.
Le premier tient au fait que les bons résultats en termes de réduction du nombre de défaillances sont obtenus avant tout en matière de prêts à tempérament (prêts personnels). Ce type de prêts explique à lui seul 87,3 % de la baisse constatée. En matière de défaillances liées aux crédits revolving (appelées ouvertures de crédit), si l’instauration d’une centrale positive a permis d’en ralentir la croissance, elle n’a pas permis de diminution. Il faut en revanche souligner qu’en 2004, 2005 et 2006, le taux de croissance du montant moyen des arriérés non régularisés a été contenu voir même négatif alors qu’il était en forte hausse en 2002 (l’évolution de 2003 est biaisée en raison d’évolutions des modalités d’enregistrement).
Le second élément est relatif au nombre de dépôts de dossiers de surendettement (appelés règlement collectif de dettes). Il apparaît qu’en dépit de l’introduction de la centrale positive, le nombre de personnes surendettées augmente chaque année (de 9 878 dossiers en cours en 2000, on passe à 57 328 en 2006). Néanmoins, là encore « comme ce fut le cas en 2005, on note en 2006 un ralentissement de la hausse nette 361 du nombre de règlement par rapport à celles constatées au cours des années antérieures » (BNB, 2007, p. 11).
Il semble donc que la centrale positive belge ait un effet positif sur l’apparition de difficultés d’usage (défaillances, surendettement). Toutefois, ces effets restent difficiles à identifier précisément. Notamment, il est difficile d’isoler l’effet de la centrale positive du cadre institutionnel dans lequel elle s’inscrit. Celui-ci comporte des médiateurs de dettes (structures publiques ou associatives venant en aide aux personnes en difficulté financière) exerçant également leur influence362.
D’autre part, l’étude des dossiers belges de surendettement incite également à souligner certaines limites de la centrale : il apparaît que près de 30 % des surendettés n’ont aucun crédit défaillant enregistré alors qu’un tiers d’entre eux (soit environ 9 % des surendettés) détient pourtant au moins crédit. Ainsi, environ 9 % des surendettés ont déposé un dossier parce qu’ils ne pouvaient plus faire face à leurs charges courantes ou aux impôts alors qu’ils continuaient d’honorer régulièrement leurs crédits.

L’introduction d’un fichier positif paraît pouvoir être un moyen d’améliorer sensiblement la prévention des difficultés d’usage en limitant le montant des arriérés et en permettant une intervention sans doute plus précoce. Toutefois, l’ampleur de ces effets positifs est directement déterminée par la manière dont cet outil est intégré à la prestation. S’il n’est qu’un complément des méthodes de scoring , et donc qu’il se substitue à l’expertise et au conseil du banquier, la recherche de solutions (et donc le coût de l’éventuel échec) restera à la charge unique de l’emprunteur. De plus, selon la forme prise (gestion publique ou privée, nature des informations contenues, modalités de consultation, etc.), un tel fichier peut avoir des conséquences extrêmement fortes en termes de cohésion sociale justifiant de considérer cette réponse possible avec prudence.

Notes
357.

 En Europe : Allemagne, Autriche, Belgique, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède (CNIL, 2005).

358.

 Ce danger est similaire à celui analysé à propos des conséquences sociales des difficultés bancaires au cours de la première partie de la thèse.

359.

 Il est ainsi notable qu’en France la majorité des banques de détail et une partie des établissements de crédit spécialisés sont opposés à l’introduction d’un tel fichier alors que des acteurs plus récents y sont particulièrement favorables. Les nouveaux acteurs ne disposant pas de relations anciennes et d’une base élargie de clientèle ont tout intérêt à l’existence d’un tel fichier pour pouvoir concurrencer les acteurs installés.

360.

 La centrale positive mise en place en 2003, est gérée par la Banque Nationale de Belgique. Elle recense l’ensemble des encours de crédit et les éventuels impayés qui y sont relatifs. Sa consultation est obligatoire par les prêteurs avant l’octroi d’un prêt. La centrale ne peut être utilisée à des fins commerciales et ne fournit pas d’évaluation du niveau de risque des personnes qui y sont inscrites.

361.

 La hausse nette est la différence entre le volume de nouveaux avis d'admissibilité enregistrés au cours de l'année et le volume d'avis supprimés du fichier au cours de la même année. Ces suppressions résultent de l'échéance des délais réglementaires de conservation des données.

362.

Nous revenons sur les structures de médiation de dettes au cours de la section suivante.