B. Accroître le prix payé : la suppression du taux de l’usure

Différents rapports (Babeau, 2006 ; Bourdin, 2006 ; Pastré, 2006) étudiant les moyens pour développer l’accès au crédit à la consommation pour les particuliers en France ont souligné que l’un des freins les plus importants était de nature réglementaire : le taux de l’usure. Ce taux correspond au taux d’intérêt maximal pouvant être appliqué et il correspond à 1,33 fois le taux effectif global moyen constaté pour chaque catégorie de crédit364.

Constatant que 45 % des ménages avaient accès au crédit à la consommation au Royaume-Uni et aux États-Unis où il n’existe pas de contrainte d’usure alors que seulement 28 % étaient dans cette situation en France, Pastré (2006) explique qu’il « appartient aux pouvoirs publics de laisser la faculté aux banques de tarifer au bon niveau et aux banques de faire payer la prise de risque » (p. 119). Toutefois, que ce soit Babeau (2006), Bourdin (2006) ou Pastré (2006), aucun ne propose la suppression pure et simple du taux de l’usure mais la modification de son mode de calcul et la redéfinition des catégories et montant qui distinguent les crédits entre eux. Ce sont notamment les crédits de petits montants qui font l’objet de l’attention la plus soutenue. Babeau (2006) propose ainsi que soit fixée une limite en valeur absolue plutôt qu’en taux pour les crédits de moins de 500 euros.

Ces différentes recommandations ont le mérite de soulever certaines questions comme le fait que le seuil de 1 524 euros n’ait pas été révisé depuis 1989. Cependant, elles ne doivent pas être considérées du seul point de vue de leurs conséquences en termes d’élargissement de l’accès au crédit mais également de celles en termes d’usage. C’est ce que recommande Bourdin (2006) : « idéalement, le choix devrait être orienté par un bilan coûts-avantages rigoureux qui mette en balance le coût social et économique associé à l’exclusion du crédit d’un côté, et le coût résultant des situations de surendettement » (p. 50). On ne peut que souscrire à cette prudence au regard des conséquences de la suppression du taux de l’usureaux États-Unis en 1978, lorsque la Cour suprême a autorisé les prêteurs situés dans un État de l’Union sans législation sur l’usure à exporter leurs offres sur l’ensemble du territoire.

En étudiant à la fois la situation aux États-Unis et au Canada, et en tenant compte d’autres éléments comme les évolutions de la régulation sur la faillite personnelle, Diane Ellis (1998) montre en effet que la suppression de fait du taux de l’usure s’est traduite par un accroissement de l’accès au crédit à la consommation et par un accroissement proportionnel des situations de faillite personnelle. Elle souligne que cette accroissement des difficultés d’usage ne concerne pas seulement les ménages pauvres mais bien l’ensemble de la population dans la mesure où tous ont vu leurs possibilités d’accès au crédit accrues.

Bien que la confirmation empirique du lien entre absence de taux de l’usure, accroissement de l’accès au crédit et augmentation du surendettement qu’apporte Ellis (1998), donne une base solide à notre raisonnement, ce résultat ne peut être surprenant. En raison du recours à la consolidation comme modalité de réduction de l’incertitude, les établissements de crédit cherchent à maîtriser le niveau moyen de risque auquel ils s’exposent et non la réussite ou l’échec de chaque prêt considéré isolément. Avec la réglementation actuelle, les établissements de crédit spécialisés atteignent leurs objectifs de rentabilité avec un taux d’impayés moyen de 1,5 %365. Si la réglementation évolue et qu’il devient possible de pratiquer un taux d’intérêt plus élevé, alors ils pourront accroître leur rentabilité tout en supportant un taux d’impayés plus élevé. Dans la mesure où ces impayés correspondent à des difficultés d’usage pour les emprunteurs (dont le surendettement fait partie), la hausse du taux d’intérêt et l’élargissement de l’accès au crédit qui en résulte, se traduisent mécaniquement par une hausse des difficultés d’usage.

Dès lors, la question qui se pose semble être celle de Bourdin (2006) consistant à arbitrer entre coût social des difficultés d’accès au crédit et coût social des difficultés d’usage du crédit. Si à l’instar de Nicolas Rebiere (2006), il est possible de lui reprocher d’en sous-estimer le second, il est surtout possible de souligner que cette manière de poser la question passe sous silence deux questions complémentaires dont il n’est pas possible de faire l’économie : celle de la nature de la prestation et celle de son mode de rentabilisation.

Notes
364.

 Trois principales catégories peuvent être distinguées : prêts inférieurs ou égaux à 1 524 euros (usure : 20,49 % au 1er octobre 2007) ; découverts, prêts permanents et vente à tempérament supérieurs à 1 524 euros (19,80 %) ; prêts personnels et autres prêts supérieurs à 1 524 euros (9,04 %).

365.

 Pour Cetelem par exemple, 98 % des dossiers de crédit sont soldés intégralement tandis que 94 % ne connaissent aucun incident de paiement (source : Salmon B., (2007), « Le crédit peut être responsable ! », La Croix, Forum et débats n° 37898.)