Conclusion chapitre 10

Tenter de répondre au défi de l’exclusion bancaire revient à tracer les contours d’une société financièrement plus inclusive. Pour cela, il faut parvenir à concilier les effets pour l’ensemble de la population de l’intensification de la financiarisation et la nature risquée de la relation bancaire. Une réponse unique paraît donc illusoire. C’est par l’articulation pertinente de différents éléments ciblant des dimensions particulières de l’exclusion bancaire qu’il est possible d’envisager d’y apporter une réponse adéquate.

Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de viser simultanément la prévention des difficultés bancaires d’accès et d’usage et la limitation de leurs conséquences. Jusqu’à présent les éléments de réponse qui ont été apportés en France n’ont porté principalement que sur la seconde dimension : droit au compte, service bancaire de base, encadrement des frais bancaires en cas d’incident, commissions de surendettement et procédure de rétablissement personnel. Quand bien même, ils seraient exempts de défauts – ce qui n’est pas le cas –, ces éléments ne peuvent qu’être insuffisants puisqu’ils ne ciblent que les symptômes et non la cause du mal. La définition de réponses préventives suppose alors au préalable d’identifier les causes des difficultés bancaires.

Le poids de l’idéologie néolibérale et les outils de l’économie dominante invitent à penser ces difficultés comme le résultat d’imperfection de marché tenant principalement à la qualité de l’information et aux modalités de fixation du prix. Pour que les mécanismes d’ajustement marchand puissent jouer de manière efficiente plusieurs réponses sont proposées : développer l’éducation financière pour accroître la rationalité des décisions des clients, instaurer un fichier positif pour réduire les asymétries d’information ou bien remettre en cause le taux de l’usure qui empêche la fixation d’un prix d’équilibre optimal. À ces réponses qui découlent directement des enseignements de la théorie économique standard s’en ajoutent d’autres qui visent à réduire le coût du risque grâce à la titrisation des crédits octroyés. Mais quelle que soit la pertinence – parfois réelle – de ces réponses, elles pêchent à la fois par la conception de la relation bancaire dont elle découle, et par leur nature strictement technique et marchande laissant ceux n’ayant pas les moyens de respecter les règles du jeu marchand sans aucune alternative. Pour ceux là, étant au-delà des « frontières naturelles du marché », il ne reste que la possibilité insatisfaisante d’un établissement financier public.

Lorsque l’on délaisse l’hypothèse du marché pour adopter notre grille de lecture en termes de relation de services, il apparaît que des voies de réponses crédibles existent. Le problème n’est plus celui de l’ajustement de l’offre et de la demande rendu difficile par l’existence d’imperfections de marché mais celui de la qualité de la prestation proposée par les prestataires bancaires à leurs clients en difficulté. De nombreux dispositifs montrent qu’il est possible de proposer un accès bancaire approprié à ces personnes à condition de donner suffisamment de place au copilotage et d’avoir penser un dispositif technique qui vise à la fois la qualité de l’output et de l’outcome. Les résultats sont probants non seulement du point de vue des clients mais également des prestataires comme le montrent les Points Passerelle du Crédit Agricole qui parviennent aujourd’hui par leurs effets directs et indirects à couvrir leurs coûts.

Cependant, si ces diverses expérimentations démontrent qu’il est possible de servir de manière appropriée cette clientèle, leur profitabilité de court terme reste inférieure à celle des méthodes automatisées adoptées par les établissements de crédit pour répondre à la contrainte de rentabilité. La régulation doit parvenir à desserrer cette contrainte pour favoriser une société financièrement inclusive. Il importe donc de remettre en question la régulation croissante du secteur bancaire selon un principe essentiellement marchand. Plus précisément, la question posée est celle de la mise en œuvre d’une régulation « solidaire » réarticulant les principes d’intégration économique polanyien et subordonnant ceux de marché et de redistribution , à celui de réciprocité .

Déjà largement présente au sein du secteur bancaire la régulation a pour but principal de maintenir la stabilité du système et éviter le risque systémique. Pour cela, elle repose sur l’évaluation des acteurs et les sanctions. Au vue des rares expériences existantes, ce sont les mêmes principes qui doivent être appliqués en matière d’inclusion bancaire. Grâce à des mécanismes d’évaluation et d’incitation basés notamment sur des péréquations financières, il est possible d’internaliser les coûts dits « sociaux » des pratiques sources de difficultés bancaires. L’objectif est que l’accès approprié de tous aux services bancaires deviennent une finalité qui pèse sur l’ensemble des acteurs bancaires quitte à ce qu’ils se fassent concurrence pour l’atteindre. Une telle « régulation solidaire » permettrait de concilier finalité économique et politique et consoliderait les bases du « capitalisme coopératif » en permettant de tirer partie des qualités réelles – mais remises en cause – de ces établissements en termes d’inclusion bancaire.