1. Définir le processus d’exclusion bancaire des particuliers

En confrontant les travaux anglo-saxons sur l’exclusion bancaire et nos observations de terrain analysées grâce la grille de lecture en termes de capabilités empruntée à Sen (1983, 1993, 1999, 2000a, 2000b), la compréhension proposée de ce phénomène est apparue radicalement insatisfaisante. En se focalisant sur les difficultés d’accès, elle décrivait précisément l’aboutissement du processus mais en ignorait largement les mécanismes.

Tout d’abord, le recours aux capabilités a permis de préciser les liens entre l’exclusion bancaire et l’exclusion sociale. Les difficultés bancaires ne sont pas seulement le résultat des difficultés sociales que connaissent les personnes. Elles sont également des causes de réduction des possibilités offertes à chacun. C’est précisément ce second lien qui définit l’exclusion bancaire. Sans lui, l’absence d’accès aux produits bancaires n’est que le signe potentiel pour les banquiers de la possibilité de développer leur activité en direction de ces clients potentiels. L’exclusion bancaire est le phénomène qui voit les difficultés bancaires alimenter le processus d’exclusion sociale.

Ensuite, par l’attention portée par Sen aux libertés réelles, la nécessité de considérer les difficultés d’usage est apparue indispensable. Avoir accès ne suffit pas à éviter les difficultés sociales. Parce que la situation est trop complexe, que les caractéristiques des produits sont inadaptées, ou que les pratiques bancaires des personnes sont inappropriées, avoir accès aux produits bancaires peut entraîner des difficultés participant au processus d’exclusion bancaire. La question posée n’est alors plus celle de l’accès, mais celle de l’accès approprié.

Enfin, il faut intégrer la dimension relative à une société donnée des conséquences des difficultés bancaires. Si la pauvreté en termes de privation de capabilités est de nature absolue, les mécanismes qui produisent ces privations sont eux de nature relative. Le fait de ne pas avoir accès à un compte peut entraver la réalisation de la capabilité « se soigner » en empêchant la perception des remboursements de sécurité sociale seulement si l’accès au compte bancaire est la norme. De même, l’ampleur et la variété des conséquences sur les différentes composantes du lien social sont dépendantes de cette norme. Selon les sociétés, les conséquences des difficultés bancaires ne sont donc pas les mêmes. Il est alors indispensable de considérer le cadre institutionnel pour proposer une analyse pertinente du processus d’exclusion bancaire.

Ces différentes composantes que nous avons mises au jour, nous ont conduit à proposer la formulation suivante de la définition de l’exclusion bancaire comme le processus par lequel une personne rencontre de telles difficultés bancaires d’accès ou d’usage qu’elle ne peut plus mener une vie sociale normale dans la société qui est la sienne.

L’exclusion bancaire ne se définit donc pas simplement par une liste de difficultés bancaires particulières et encore moins par la responsabilité des uns ou des autres. Elle est ce lien entre difficultés bancaires et conséquences sociales. Elle est ce processus qui voit s’articuler ses différentes facettes que sont l’absence de compte, l’absence de moyens de paiements scripturaux, l’accumulation de frais bancaires, l’interdiction bancaire ou bien encore le surendettement.

L’adoption d’une telle conception de l’exclusion bancaire a des implications opérationnelles multiples qui irriguent l’ensemble de cette thèse et plus particulièrement l’évaluation des réponses proposées puisqu’elle suppose que celles-ci soient considérées au regard de leurs conséquences sur les capabilités des personnes. Par exemple, les réponses censées favoriser l’accès au crédit doivent également être évaluées au regard de leurs conséquences en termes de surendettement.

Dans l’actualité récente, notre définition met en perspective le débat au sujet de la généralisation de la distribution du Livret A à l’ensemble des établissements de crédit. L’un des arguments récurrents des opposants à sa généralisation est que ce produit est le pivot de l’inclusion bancaire des personnes aux revenus les plus modestes. Il serait alors à craindre que celles-ci se voient refuser par les établissements qui contrairement à la Banque Postale ne seraient pas contraints de les accepter. Pourtant le Livret A n’est pas un outil d’inclusion bancaire. Il est de fait le seul lien avec le secteur bancaire pour une partie de la population mais ses caractéristiques n’offrent en aucune manière une inclusion bancaire permettant l’expression des capabilités. En appliquant la grille de lecture liée à notre définition, le débat devrait moins se focaliser sur la préservation du rôle du Livret A quant à l’accessibilité bancaire et bien davantage se porter sur les causes de cette situation dont au premier chef desquelles se trouve l’inefficacité réelle de la procédure de droit au compte.