5. Perspectives ouvertes par la thèse

Cette thèse propose une grille d’analyse de l’exclusion bancaire prenant en compte simultanément : les contraintes des clients et des prestataires ainsi que l’influence du cadre institutionnel au sein duquel ces acteurs évoluent. La démarche méthodologique que nous avons adoptée, a notamment permis de mettre en dialogue les conceptualisations théoriques disponibles (capabilités, économie bancaire, économie de la qualité, économie des services, etc.) et les mécanismes que nous observions pour élaborer une connaissance originale d’un phénomène jusqu’alors rarement étudié. C’est l’un des résultats de cette thèse que de valider la pertinence analytique d’une approche socio-économique.

Les pages qui précèdent sont revenues sur les principaux résultats obtenus et leurs potentielles applications opérationnelles. Ces résultats sont de nature empirique au sens ou nous avons produits les données indispensables à l’analyse de ce phénomène. Ils sont également de nature théorique. Le développement de notre grille d’analyse du processus d’exclusion bancaire lui-même nous a ainsi amené à proposer des outils conceptuels tenant principalement au processus de financiarisation, à la prestation de services bancaires, à la nature de l’incertitude liée à la relation bancaire, et aux modalités d’articulation des différents moyens de sa réduction.

En dépit de ces apports, certains points n’ont pu être suffisamment approfondis. Ainsi, ce sont principalement certains éléments quantitatifs qui nous ont le plus fait défaut au premier chef desquels : le chiffrage des différentes facettes de l’exclusion bancaire et l’identification des différents profils concernés. Ce sont également des éléments tenant au coût réel de la relation bancaire pour les clients selon leur profil et la rentabilité pour les établissements détaillée par segment de clientèle qui nous ont manqués. Enfin plus généralement, la connaissance de chaque facette spécifique du processus d’exclusion bancaire mériterait d’être approfondie. Ainsi, le surendettement pâtit toujours de l’absence d’une enquête qualitative d’envergure ciblant les différents profils concernés par ce phénomène et ce, dans une perspective dynamique. Ces limites ouvrent d’elles-mêmes des perspectives pour approfondir les résultats de cette thèse.

Sur un plan théorique, les voies de recherches ouvertes par notre analyse de l’incertitude propre à la prestation de services bancaires mériteraient d’être prolongées au-delà des seuls temps forts des difficultés bancaires. Les questions de la nature du produit de la prestation et de son mode de production questionnent l’articulation du capital (dispositifs techniques supports de la consolidation) et du travail (copilotage permettant le jugement). Elle montre d’une part les limites des analyses décrivant une substitution de l’un à l’autre au sein des activités de service comme le souligne Gadrey (1996), et d’autre part, l’importance des interactions entre client et prestataire dans ce processus productif. Notamment, la question se pose de l’intégration de comportements opportunistes de part et d’autre, de leur signification et de leur conceptualisation sans recourir à l’hypothèse actuelle d’opportunisme qui rend impossible toute prise en compte des interactions et du rôle de la confiance.

De même, les analyses du cadre institutionnel caractérisant une société donnée peuvent être enrichies par l’apport du concept de financiarisation et ce qu’il met en lumière des modalités de reproduction des sociétés et de cohésion sociale. Articulé aux principes d’intégration économique polanyiens, il peut éclairer des évolutions à l’œuvre au sein des différents modèles sociaux européens en soulignant le rôle joué par les règles et normes bancaires d’accès et d’usage. Il est sans doute possible de distinguer des modèles nationaux distincts en fonction du rôle des produits bancaires et financiers et de l’influence sur l’autonomie des personnes de leur « citoyenneté financière » (Leyshon & Thrift, 1995).

Sur un plan opérationnel, les perspectives sont également nombreuses. Le dispositif Parcours Confiance des Caisses d’épargne en est déjà une illustration concrète. Que ce soient les caractéristiques de la prestation de services bancaires ou celles des réponses apportées aux dysfonctionnements de la relation, notre grille d’analyse peut-être particulièrement utile pour en déceler les causes et alors développer une réponse adaptée. Notamment, l’un des champs d’investigation à creuser en intégrant simultanément les résultats sur la qualité de l’output et de l’outcome tient à l’articulation du jugement et de la consolidation au sein des expérimentations alternatives à la prestation de services bancaires. Dans quelle mesure les outils techniques peuvent-ils intervenir au sein de la relation sans en compromettre la personnalisation et en en accentuant l’efficacité ?

Une autre perspective tient à l’approfondissement des évolutions pouvant être apportées au cadre de régulation bancaire. Notamment, il convient de distinguer ce qui est du ressort de la Commission européenne c'est-à-dire les principes pouvant être applicables de manière homogène aux différents pays membres, et ce qui est du ressort des pouvoirs publics nationaux en raison des particularités des secteurs bancaires et de leur degré de financiarisation. Ce n’est pas la même chose de penser une régulation « solidaire » en France où l’intervention publique sur le secteur bancaire est historique et où les établissements coopératifs sont des acteurs essentiels, et au Royaume-Uni où ceux-ci ont aujourd’hui un poids infime et où l’État joue principalement le rôle d’un facilitateur du fonctionnement du marché. On retrouve là l’articulation du triptyque polanyien.

Que ce soit les pratiques bancaires ou le cadre de régulation, les éventuelles perspectives opérationnelles de notre travail passent par le développement d’outils d’évaluation de ces évolutions qui en saisissent à la fois leurs dimensions économiques et sociales. C’est seulement par la mise au jour des résultats positifs ou négatifs obtenus par tel ou tel changement apporté à la prestation ou au droit bancaire que le débat public peut-être éclairé et l’intervention du politique prendre véritablement en compte les différentes facettes du problème posé. Comme nous l’avons largement souligné, les difficultés bancaires sont toujours des questions simultanément techniques et politiques, économiques et sociales. Elles supposent qu’au côté du critère d’efficacité soit systématiquement pris en compte celui de justice sociale dont l’indicateur essentiel est l’autonomie des personnes au sens de Sen. Au cours des années récentes, les évolutions du secteur bancaire ont principalement été guidées par le critère d’efficacité marchande avec les résultats que nous avons montrés en termes d’exclusion bancaire. Peut-être la prise de conscience des enjeux de la financiarisation provoquée par la crise des subprimes, pourra-t-elle rééquilibrer la place accordée à l’un et à l’autre et permettre ainsi le développement d’une société financièrement inclusive ?