Annexe 6 : Synthèse et programme voyage d’étude aux États-Unis

Banques et « banques sociales » aux États-Unis

Compte-rendu du voyage d’étude du 5 au 11 novembre

Composition du groupe en annexe

Texte établi par Georges Gloukoviezoff

It’s about Community, it’s about Business, it’s about Opportunity

Préambule

Du 5 au 11 novembre 2005, Patricia Lemoine et Kent Hudson ont organisé pour la French-American Foundation, un voyage d’étude sur les « nouveaux marchés » bancaires aux États-Unis et ce dans les villes de Baltimore (Maryland), Wilmington (Delaware), Washington D.C et Chicago.

Travaillant au sein de huit institutions financières et une importante institution caritative, nous avons ainsi pu découvrir et analyser l’émergence dans les quartiers défavorisés par ailleurs abandonnés par les grandes banques commerciales, de trois « nouveaux marchés » de services bancaires aux ménages à revenu faible ou modeste. Ces trois marchés qui brassent des centaines de milliards de dollars aux États-Unis, sont : le marché du crédit à la création d’activité, celui du crédit immobilier et celui des services de banque de détail dont le crédit à la consommation.

La dimension, l’utilité sociale et la rentabilité de ce secteur mais également ses risques, nous ont conduit à poser un certain nombre de questions relatives au fonctionnement du marché américain par rapport au marché français, dans lequel les services bancaires aux ménages aux revenus faible et modeste (RFM) sont développés selon une approche de distribution très différente, en partie restrictive :

Le hasard des dates a fait que notre groupe s’est trouvé aux États-Unis, lors de l’explosion de nos banlieues en novembre. Ces événements ont rappelé à nos interlocuteurs et à nous-mêmes que les éléments du système américain que nous étions venus observer (le CRA et ses obligations de reporting faites aux banques, les fondations et les institutions financières de quartier, les méthodes de marketing et d’engagement de risque) ont tous été crées suite à des événements semblables survenus dans les grandes villes américaines.

En effet, proposé de manière adaptée, le crédit est un formidable outil vecteur d’opportunités permettant l’intégration sociale au niveau individuel et un instrument important du développement économique local. Mais outre ces effets indirects tout à fait essentiels, il est également indispensable de souligner avec force que cette activité s’avère rentable pour ceux qui l’exercent.

C’est dans cet esprit mêlant rentabilité et opportunités à la fois économique et sociale que nous avons étudié la législation et les pratiques bancaires américaines. Par l’identification et la conquête d’un ensemble de nouveaux marchés jugés jusqu’alors sans potentiel ou trop risqués, les acteurs bancaires américains apportent une réponse originale à la question du rôle de la Banque face à l’exclusion d’une partie de la clientèle potentielle.

Si on ne transpose pas une expérience étrangère, il faut cependant s’inspirer de l’idée centrale de cette pratique américaine : nombre d’exclus du crédit bancaire sont capables de créer de la richesse. Oubliés des banques, voire discriminés, ils se trouvent soit projetés dans les circuits de crédit extralégaux soit transformés en assistés « interdits économiques ».Savoir les identifier, les aider à réussir leurs projets économiques, c’est la base du métier de la banque du détail.

1. Un environnement très différent de la France

S’il y a beaucoup à apprendre de l’expérience américaine, toute transposition qui ne tiendrait pas compte des différences d’environnement dont les principales sont présentées ci-après, pourrait déboucher sur des échecs sérieux.

§ Le modèle de bancarisation diffère très fortement de celui français.

Alors qu’elle est basée sur l’ouverture de compte pour tous (98 % des ménages) en France mais offrant un accès plus faible au crédit (entre 60 et 70 %), la bancarisation aux États-Unis repose d’abord sur l’accès aux crédits (de l’ordre de 100 %) avec une offre beaucoup plus large et diversifiée (Les cartes de crédit représentent 25 % des moyens de paiement, et 45 % des ménages à bas revenus en utilisent) mais un moindre accès au compte (80 %).

Aux États-Unis, le modèle privilégié est ainsi celui de la « banque éclatée » et non celui de la « banque universelle ». Il y a donc une multitude d’acteurs « front office » qui interviennent sur ce marché, y compris un grand nombre d’organismes non bancaires (la fringe bank) opérant de manière fréquemment prédatrice car non réglementée. Le plus souvent ces acteurs sous traitent aux nombreuses institutions spécialisées leurs activités de « back office » : gestion du risque (credit bureaus qui assurent une sorte de fichiers de données extrêmement large, mis à jour on line et par tous les créanciers ou facturiers, recensant tous les comportements de paiement des emprunteurs et leurs engagements, permettant de fournir à tous les créanciers une cotation du risque par client ou prospect, ce qui permet de mieux développer le crédit grâce à une bonne connaissance du potentiel), gestion de créances et recouvrement, titrisation et gestion des risques, assurance titre, etc. Gérer ces relations requiert une information commune, et cette gestion repartie permet d’augmenter « l’appétit » de risque global du système bancaire américain, par rapport au système français.

§ Abandon du plafonnement du crédit (taux d’usure ) au profit du contrôle des résultats.

Ces méthodes de contrôle statistique fonctionnent sur la base d’un reporting des résultats, en plus de l’audit de chaque institution. La plus connue de ces lois américaines est le Community Reinvestment Act (CRA).

§ La filière crédit est surdéterminée par la filière immobilière.

L’accès à la propriété immobilière est la clef de l’accès aux crédits tant à la consommation qu’au financement de la création d’entreprises. Le marché immobilier français est moins favorable pour les bas revenus car le prêt sur la valeur des biens est rendu très difficile par la lourdeur de l’hypothèque et surtout la difficulté de la faire jouer en cas d’impayés ; le taux de propriété est inférieur en France d’au moins 10 points.

§ La place de l’approche communautaire.

Dans les quartiers, l’approche du « front office » des services bancaires et l’accès au crédit sont fortement segmentés par une sorte de marketing « affinité » envers les minorités ethniques (Mexicains, Noirs, Ukrainiens, etc.) Les modalités de la prestation sont donc adaptées à une clientèle beaucoup plus homogène que celles se présentant dans les agences bancaires françaises y compris au sein de celles présentes en banlieues urbaines. Les opérations de « back office » dont la gestion de portefeuille de créances de ces opérateurs étant sous traitées aux grands spécialistes, elles bénéficient donc des économies d’échelle.

§ Les fondations jouent aux USA un rôle incomparable à ce qu'il est en France.

En 2000 les 5 600 fondations américaines totalisent 486 milliards de dollars d'actifs et accordent chaque année 30 milliards de dollars de subventions. Elles jouent un rôle non négligeable dans les Community development corporation (CDC) et les Community development financial institutions (CDFI) qui sont des acteurs essentiels de la revitalisation de ces quartiers.

2. Un cadre réglementaire contraignant

Voté en 1977, le Community Reinvestment Act (CRA) a eu peu d’effets jusqu’à une nouvelle impulsion conjuguée de l’administration Clinton et des ONG et associations locales en 1994-1995 qui se traduit par la mise en œuvre d’une première sanction. En effet, le CRA vise à « encourager agressivement » les organismes financiers à ne pas négliger les besoins de financement des zones de populations défavorisées à revenu faible ou modéré qui se situent sur leur territoire d’intervention.

Ce cadre politique incite les banques à se pencher sur les opportunités de profit qu’elles ignoraient jusqu’alors. La loi les y incite non plus dans une logique d’assistanat, mais bien dans une perspective « business » au travers d’une véritable démarche de marché.

Pour cela, quatre agences fédérales évaluent les banques à partir des données que ces dernières doivent fournir sur support électronique standardisé. Quatre points sont analysés : crédits accordés aux populations à faible revenu, investissements réalisés dans les quartiers, services offerts dans les zones ciblées, appui aux structures de community development.

CRA : Community Reinvestment Act (banques uniquement)
→ Autorise la Réserve fédérale (FED) et les autres agents de réglementation à «encourager agressivement » les banques à prêter dans tous les quartiers.
→ Oblige les banques à être en mesure de justifier économiquement les rejets de prêts.
HOEPA : Home Ownership Equity Protection Act (toutes institutions de crédit)
→ Limite le TEG (taux effectif global) du crédit immobilier, (dont « Home equity ») :
soit « T-Bond » + 10 % ;
soit un ensemble de commissions > 8% du montant et plafonné à 480 USD*.
→ Indiquer à l’emprunteur le TEG et les risques encourus.
→ Ne pas prélever des pénalités de remboursement anticipé.
FHA : Fair Housing Act
→ Interdit aux banques de pratiquer toute forme de discrimination.
ECOA : Equal Credit Opportunity Act (toutes institutions de crédit)
→ Autorise et contrôle l'affirmative action.
HMDA : Home Mortgage Disclosure Act (banques uniquement)
→ Oblige chaque banque à produire annuellement un rapport détaillant ses créances, notamment par profil de client et par quartier.
* Y compris toutes commissions payées par l’emprunteur au prêteur ou à ses filiales, ainsi qu’au notaire et à divers experts.

Source : Hudson K. (2005).

La réussite du CRA repose selon le conseiller de Bill Clinton rencontré sur un triptyque :

Le mot clef de la mise en oeuvre du CRA est le mot transparence. La masse des informations disponibles tant auprès des instances de régulation, que des ONG, que des médias et de ce fait des consommateurs, modifie sensiblement le paysage.

Il faut souligner que l’efficacité du CRA est également liée au fait qu’il est un élément d’un ensemble réglementaire beaucoup plus large rendant plus aisée l’évaluation et, éventuellement, la pénalisation des établissements bancaires.

3. Un système d’information sans comparaison avec celui de la France

Le CRA a permis de publier une base de données exhaustive et disponible à tous, de tous les profils des détenteurs de prêts immobiliers, du nombre de prêts réalisés par communauté, quartier etc. Elle sert principalement aux contrôleurs OCC et FED pour l’évaluation de chaque institution. Publiée, cette information est exploitée par les organisations consuméristes pour faire pression sur les banques.

L’information en provenance de la CRA peut également être utilisée par les Directions des banques ou par les investisseurs institutionnels dans l’analyse des marchés et dans le contrôle internes de la valorisation des risques.

De plus, le système bancaire s’est doté de systèmes automatisés d’engagement et de gestion de la vie des créances, basés sur un outil unique de collecte de données de l'historique crédit des particuliers (ceci concerne non seulement les incidents ou événements sur prêts accordés mais aussi les historiques de paiement des charges courantes, etc.) notamment par l’intermédiaire des Credit Bureaus qui collectent et vendent cette information.

À partir de ce système d'information, Fair Isaac Company (FICO) a constitué une grille de score utilisée par l'ensemble des banques. Ces dernières accèdent à la fois au score FICO et aux informations contenues dans la base de données.

Les grandes agences de titrisation (Freddie Mac) et (Fannie Mae) ont mis au point des systèmes automatiques de souscription qui permettent en quelques minutes de prendre ou non la décision d'octroi pour les prêts standard puis de revendre la créance aux agences.

4. Des modalités d’action originales

Si l’accès à une information abondante et son traitement par les grilles de scoring ont permis d’accroître l’éventail de la clientèle ayant accès aux services financiers, cette réussite est également liée au développement d’un réseau de petites banques de proximité, de fonds et de

promoteurs spécialisés que sont les CDFI, Community Development Corporations (CDC) et autres Community Credit Unions. Souvent tenues par leurs investisseurs de réaliser une mission sociale, les institutions de ce réseau fonctionnent sous droit privé, et ces fonds et ces institutions bancaires (CDFI) sont sujets aux mêmes réglementations que d’autres fonds et banques. Ce réseau ne doit pas être confondu avec les « Fringe Banks » - 40 000 environ aux États-Unis - qui opèrent sur les mêmes territoires. Ces dernières se caractérisent souvent par des comportements prédateurs, en pratiquant des taux et des commissions astronomiques.

§ Une démarche basée sur la proximité et la territorialité de l’action

Ces institutions du réseau Community Development agissent dans les quartiers d’où se sont retirées les banques mainstream (et où leurs systèmes automatisés ne sont pas efficaces). Elles ont pour priorité la réactivité aux besoins des populations locales et la redynamisation de ces communautés.

Elles obtiennent des résultats significatifs et une vraie rentabilité grâce à un professionnalisme certain et une bonne gestion de la proximité avec les clients à faible revenu avant, pendant et après les opérations. En effet, d’une part, les chargés de clientèle sont le reflet des communautés où ils interviennent qu’ils en soient issus ou qu’ils en parlent seulement la langue. D’autre part, leur connaissance fine des pratiques de ces populations leur permet de développer une prestation personnalisée où l’accompagnement et la pédagogie sont fortement présents (principalement pour le crédit immobilier et à la création d’entreprise mais également pour l’équipement du compte (le recours aux livrets par exemple)).

Les conseillers ont ainsi une capacité forte pour appréhender les besoins et spécificités de ces marchés ainsi que pour évaluer par leur expertise le niveau de risque de ces clientèles atypiques. Ces capacités sont de plus aisément mises en œuvre grâce à l’autonomie dont ils disposent.

§ Une action articulée à celle des réseaux bancaires mainstream

Ces banques de proximité sont efficaces au sens où leur activité est rentable mais elles le sont également selon trois autres acceptions : d’abord, elles constituent un apport très significatif pour la revitalisation de ces quartiers notamment en raison de l’effet multiplicateur de leurs crédits (par exemple la rénovation immobilière permise par l’octroi local de crédits entraîne un retour d’habitants ou l’arrêt de leur exode et indirectement l’installation de commerces) ; ensuite elles financent les petits promoteurs et investisseurs, qui, ignorés des banques mainstream avaient disparu des quartiers ; enfin elles défrichent pour le compte du secteur bancaire en général de nouveaux marchés jusque là ignorés.

Ces banques jouent ainsi le rôle de « pôles de recherche et développement » pour les grands réseaux bancaires en permettant la mise au point de produits innovants et de nouvelles méthodes de commercialisation et d’évaluation du risque. Une fois leur efficacité démontrée, les banques mainstream se saisissent de ces innovations, les intègrent à leur offre en les standardisant, et bancarisent ainsi les clientèles qui les consomment et qu’elles délaissaient jusqu’alors.

§ L’hybridation des ressources

Cette diversité des formes d’efficacité explique ou justifie l’hybridation des ressources des banques de proximité. Dans la plus part des cas ces institutions lèvent leur capital initial auprès de particuliers et de fondations s’inscrivant dans une logique qui n’est pas celle de la maximisation du ROE, elles bénéficient également de fonds publics. Ensuite et au fur et à mesure de leur développement les besoins en capital sont aussi assurés par les banques qui y trouvent un moyen de remplir leurs obligations CRA.

En plus des ressources en capital, le refinancement des opérations est assuré à des conditions proches du marché auprès d'investisseurs privés ou de fondations et de banques. Ces dernières, notamment les plus grosses banques, y font des dépôts – rémunérés au taux du marché – qui sont réemployés pour développer les crédits (avec parfois des « coefficients multiplicateurs » limitant la prise de risque) ; on trouve là une forme de ré intermédiation directe de l’activité financière

Le rôle des fondations apparaît très important dans la création et le développement des CDFI, car elles permettent, avec d’autres investisseurs, particuliers ou entreprises, d’entrer dans une logique de développement plus proche du terrain et donc mieux adaptés qu’une politique d’investissement public, par ailleurs dépendante des objectifs budgétaires.

Cependant, même si leurs actionnaires ne sont pas motivés en premier lieu par l’optimisation de la rentabilité des fonds investis, ces institutions doivent prouver leur rentabilité, alors que leur mode d’intervention basé notamment sur la proximité et l’accompagnement est forcément générateur de coûts importants.

Il faut souligner ici que ces institutions de community development, comme l’ensemble du secteur bancaire US, sont moins contraintes en matière de taux d’intérêt maximum, ce qui leur permet de trouver une certaine rentabilité par la perception de taux qui paraîtraient élevés en Europe (15 à 30 % parfois) sans nécessairement devoir recourir en cas d’incident ou pour le fonctionnement des comptes à des systèmes de commissions élevées qui s’avèrent au final plus coûteux pour les foyers à revenu faible ou modéré.

5. Apports et limites de l’expérience américaine

Il n’est pas question ici de dresser un tableau exhaustif des apports et limites de l’expérience américaine mais davantage d’attirer l’attention du lecteur sur quelques points saillants dans la mesure où l’évaluation du CRA est controversée.

Les apports du CRA sont évidents. Il a permis d'accroître significativement l'accès au crédit immobilier des personnes à revenu faible ou modéré. Kent Hudson indique que dans les quartiers sensibles, le CRA a entraîné un taux de crédit immobilier aux bas revenus deux fois supérieur à celui des autres crédits. Les institutions financières de community development ont joué un rôle important pour ouvrir de nouveaux marchés aux banques traditionnelles et redynamiser leurs quartiers d’intervention. Le CRA a notamment favorisé l'intervention des grandes banques dans les CDFI et dans les petites banques des communautés, par la prise en compte des financements et dépôts accordés dans la mesure des réalisations CRA. Ces « collaborations » sont particulièrement bénéfiques à la bancarisation future de ces clientèles au sein des grandes banques mais également pour ces dernières, en leur permettant de découvrir de nouvelles opportunités de profits.

Cependant, sur au moins trois principaux points, l’efficacité du CRA est discutée.

Le premier concerne la « lourdeur » du dispositif. Si certaines grandes banques (Bank of America) affirment une position nettement favorable de par son incitation à l'ouverture de nouveaux marchés, ailleurs on sent des réticences plus ou moins formulées liées aux coûts et contraintes bureaucratiques inhérentes à son fonctionnement.

C’est également le cas de petites banques locales qui se trouveraient pénalisées par rapport aux grandes en raison des coûts incompressibles du reporting. Cependant, d’une part, la réforme mise en œuvre en 2004 réduit partiellement ce coût pour les banques de taille petite et moyenne (reporting tous les 3 ans au lieu d’annuellement), et d’autre part, certaines banques locales actives dans les quartiers sont par contre plus favorables à cette loi, et estiment même parfois que la mise en oeuvre du CRA devrait être renforcée.

Le deuxième point souligne l’insuffisance de contrôle des informations collectées en raison de l’opposition de nombreuses banques lors de la création du CRA. Ainsi, les crédits à la consommation par exemple échappent totalement à la surveillance du CRA. De même, la loi CRA n’a rendu obligatoire ni la saisie des taux ni d’autres aspects de la tarification pratiquée par les prêteurs immobiliers.

Ces lacunes expliquent un effet pervers du développement de l’activité bancaire dans les quartiers défavorisés grâce à une plus grande disponibilité de l’information mais sans contrôle adéquat. En effet, cette « mise à jour » de sources de profits potentiels a également attiré l’attention prédatrice de certains intervenants. La bancarisation de ces quartiers a ainsi permis leur développement en direction de populations moins éduquées en matière financière et donc moins à même de comprendre les conditions réelles qui leur sont proposées, notamment celles des crédits accordés aux populations « subprime » à travers les prêts d’avance sur salaires, certains Home Equity Loans (hypothèque renouvelable), les escomptes de chèques pour les personnes non bancarisées, les commissions sur les virements à l’étranger, etc. Un phénomène « prédateur » analogue existe aussi en matière de pénalités, que l’on retrouve par ailleurs aussi en France et ce pour les mêmes raisons mais à un niveau bien moindre.

Enfin, le troisième point concerne l’évaluation de l’impact réel pour les populations visées, ou plus précisément, l’existence d’effets négatifs liés à l’ouverture du marché du crédit, et notamment les effets de certains produits, tels le Home Equity Line of Crédit, (crédit revolving sur hypothèque renouvelable). En effet, malgré un taux de croissance favorable, des taux d’intérêt bas, un marché de l’immobilier en croissance, malgré un cadre réglementaire contraignant, malgré des stratégies bancaires dynamiques, les inégalités progressent et l'accès au crédit s'accompagne d'une montée du surendettement et des saisies immobilières qui l’accompagnent.

Il est difficile dans l’analyse de ces phénomènes de distinguer les effets pervers liés à l’action des banques sous l’impulsion du CRA, de l’appauvrissement relatif des classes modestes aux États-Unis en raison des réductions des programmes sociaux et de la stagnation des salaires. Ces constats soulignent la difficulté d’analyser les effets du transfert des clients depuis les CDFI vers les banques mainstream. Deux chiffres peuvent sans doute illustrer ces tendances contradictoires : il y a 20 ans, 60% des américains étaient propriétaires, aujourd’hui ils sont pratiquement 70%. Par contre, il y a 20 ans, les propriétaires de logement détenaient en moyenne 70 % de la valeur nette de leur logement, ils n’en détiennent plus que 50 % aujourd’hui.

L’élargissement des marchés financiers vers les populations exclues peut se retourner contre ces populations en l’absence de contrôles efficaces des résultats. Par exemple, dans certains cas la rénovation de quartiers s’est accompagnée d’une hausse du prix de l’immobilier – phénomène généralement bénéfique dans un premier temps par l’effet de création de richesse qu’il procure aux détenteurs de biens – mais aussi des loyers contraignant les habitants initiaux à quitter leur logement au profit de ménages aux revenus plus en adéquation avec ces nouveaux tarifs.

En dépit de résultats positifs très significatifs, il est indispensable de souligner ces faiblesses ou effets pervers afin de tirer au mieux les leçons de l’expérience américaine. Toutes les difficultés ne sont pas à mettre au compte du seul CRA. En effet, ce n’est pas en raison du CRA qu’une dégradation du score FICO liée à un retard dans le paiement du loyer par exemple, se traduit par une hausse du taux d’intérêt des prêts en cours mais bien en raison du mode de gestion de la relation bancaire par les établissements bancaires américains. Ce n’est pas non plus à cause du CRA que le score FICO est également utilisé par les logeurs ou les employeurs potentiels faisant de la maîtrise des produits bancaires un préalable à l’insertion sociale. Toutefois, il est nécessaire de considérer ces évolutions qui s’appuient sur une plus grande disponibilité de l’information indispensable au fonctionnement du CRA.

6. Propositions

De manière synthétique, l’expérience américaine repose sur cinq éléments clefs :

  • des lois et politiques publiques visant à privilégier des modèles économiques reposant sur l’accès au crédit, en particulier immobilier ;
  • des technologies financières reposant sur des systèmes d’information performants et automatisés mais sans approche de protection des consommateurs ;
  • une pratique d’interventions sélectives pour améliorer le fonctionnement du marché localement (politiques d’information/subvention pour découvrir de nouveaux marchés, mise en place de petits acteurs (promoteurs, CDFI) afin de développer les activités rentables, etc.) où les différents acteurs publics et privés s’articulent selon leurs savoir-faire pour la création d’activités, et non dans une logique d’assistanat ;
  • une approche des communautés qui reposent souvent sur une conception des droits des minorités ethniques très forte et éloignée des conceptions françaises ;
  • un réseau d’institutions financières de développement local, très professionnelles et indépendantes financièrement des pouvoirs publics tant au niveau fédéral qu’au niveau des états et des villes.

Relativement à la situation française, plusieurs voies de réflexion complémentaires peuvent être suivies :

  • L’exemple américain repose sur une implication forte de l’État en matière de régulation par le suivi de la production des acteurs privés du secteur. Il incombe donc à la puissance publique de s’interroger quant à la transposition ou non d’un système de contrôle de résultats de type CRA. Mais il faudrait aussi, pour être efficace, que soit revu le découpage géographique des politiques de la ville, découpage qui fait obstacle à la création d’activités et même à l’accession à la propriété.
  • Les quartiers sensibles font en France l’objet de lourdes interventions publiques sans qu’y soient associés les capitaux privés et les banques commerciales ou coopératives : développer les prêts consortiaux permettrait à ces dernières de réinvestir dans ces zones et auprès de ces populations dans de bonnes conditions de sécurité.
  • L’information occupe une place centrale dans le système américain. Si un consensus n’existe pas en France en faveur du fichier positif, la question de l’enrichissement du fichier actuel des incidents de crédits (FICP) pourrait à nouveau être abordée. Ce ficher est déjà partagé entre les banques et pourrait être ouvert à d’autres créanciers; et autoriserait la conservation sur longue période des historiques de paiement des personnes. L'établissement et l'enrichissement de bases de données plus complètes sur les résidents des quartiers et zones sensibles qui pourraient bénéficier de micro-crédits personnels ou professionnels, serait une expérimentation à lancer pour accompagner une plus grande diffusion du crédit sur ces cibles sans doute incomplètement desservies. Dans un premier temps, les pouvoirs publics pourraient demander à tous les établissements de crédit de recenser les prêts de toute nature (immobilier, consommation, professionnels) réalisés dans ces zones afin d'avoir une vision précise de la pénétration réelle du crédit et de la bancarisation des populations concernées.
  • Les différentes formes de proximités sont au cœur de l’efficacité des banques locales américaines. Il importe donc de s’interroger sur la création d’entités spécifiques permettant le développement local et social et dont les principes fondamentaux seraient la territorialité de l’action, l’indépendance financière vis-à-vis des pouvoirs publics (fondations), et l’autonomie de gestion (co-engagement de risque avec les banques partenaires).
  • L’action des banques locales qui articulent très souvent évaluation objective (scoring) et subjective (expertise du conseiller) et développent un véritable accompagnement personnalisé, est coûteuse. Deux préconisations en découlent :
    • adaptation des outils juridiques et fiscaux pour favoriser le développement de grandes fondations ;
    • développer les apprentissages réciproques entre acteurs locaux et spécifiques, et les établissements bancaires (structures locales comme pôle de recherche et développement).
  • La présence d'organismes indépendants du type Woodstock Institute à Chicago qui documente l'exclusion financière, publie des analyses, fédère les débats publics sur ces sujets, alimente les grande banques ainsi que les banques « sociales » locales, paraît particulièrement intéressante. La méconnaissance actuelle en France du nombre de personnes qui ne peuvent avoir accès au compte, ont un usage restrictif de leur compte ou des difficultés d’accès au crédit en est l’illustration. Le repérage géographique de ces personnes, probablement concentrées dans les quartiers qui ont connu l’explosion urbaine du mois de novembre, est une priorité.
  • Importance de mettre en œuvre des mesures fortes et financées de sensibilisation, de pédagogie et d’accompagnement à une autre approche du crédit, substitutive à une approche subventionnelle ; cette approche pourrait mobiliser le Fonds de Cohésion sociale, les banques, le secteur associatif et les collectivités locales.
Participants :
- Alain Bernard, Responsable Mission Économie Solidaire, Secours Catholique
- Philippe Bouchez, Directeur financier, Crédit municipal de Paris
- Christine Caffet, Directrice adjointe, Chargée du Développement sur les marchés et les métiers, Confédération du Crédit Mutuel
- Georges Gloukoviezoff, Chargé de recherche, Fédération nationale des Caisses d’Épargne – Doctorant, Université Lyon2
- Jean-Marc Guillembet, Chargé des problèmes sociaux, LaSer Cofinoga
- Michèle Hardré-Schille, Secrétaire Générale, Fonds de cohésion sociale, Caisse des dépôts et consignations
- Kent Hudson, Directeur général, KHNET
- Patricia Lemoine, Vice-présidente du Directoire, French-American Foundation – France
- Jacques Pierre, Directeur général, France Active
- Gérard Serviès, Directeur du Centre de Services Financiers de Bordeaux, La Poste
- Hugues Sibille, Directeur délégué adjoint au président, Crédit Coopératif
7 novembre
Baltimore & Delaware
La carte de crédit d’une grande banque
8 novembre
Washington
Crédit aux PME et crédit immobilier
9 novembre
Washington
Le marché des capitaux & la politique des nouveaux marchés
10 novembre
Chicago
Trois banques commerciales dans les quartiers de Chicago
11 novembre
Chicago
L’accompagnement des TPME & l es banques / CRA Coalition
8h30 – 11h30
Le management des services municipaux et le financement du renouveau urbain

8h30 East Baltimore Development
Jack Shannon, Director EBDI

9h30- 11h30 City of Baltimore
Matt Gallagher, Director CitiStat
Ruth Louie, Directeur, Baltimore Development Corporation
Clarence Snuggs Director,
Enterprise Foundation
Dr. Mary Washington, ex- Directeur, Baltimore Neighborhood Indicators
9h00–11h30
Visite Une banque CFDI dans un quartier en transformation
City First Bank
Clifton Kellogg, CEO
Anne Scoffier, Directeur de développement
Milton Franklin, Chief lending officer
Douglas Dillon, Responsable, crédits TPME et institutions
- Visite de la banque CDFI
- « Business Model » et funding
- Présentation des produits
- Remarques sur les Low Income Housing Tax Credits
Ambassade de France
8h30 / 9 h15 – 12h00 table ronde
Le marché des capitaux & le financement du « Community Development »
John Taylor, CEO NCRC
Mark Pinsky, CEO NCCA
Dr. Patricia McCoy, University of Connecticut Law School
James Carr, Directeur Fannie Mae Foundation
Pari Sabety , Director, UDI Brookings Institution;
Doug Woodruff, Directeur Community Development, Bank of America
Buzz Roberts, Director, National Policy initiatives, LISC
Michele Hardré-Schille, Secrétaire Général, Fonds de cohésion sociale
9 h00 - 11h15
MB Financial Bank
Tom Fitzgibbon, Directeur banque de détail & CEO MBF Com Dev Bank
- Stratégie urbaine
- Produits et méthodes
- Conseil en « compliance »

12h00 – 14h00
TCF National Bank
Jim Koon, EVP Retail Banking, Mark Dillon, EVP Strategic Alliances,
Tim Herwig, VP Community Affairs/CRA,
Paul Somers, VP Corporate Real Estate
Les banques sociales CDFI et l’accompagnement des clients

8h30 – 9 h30 Accion Chicago
Jonathan Brereton, Director

9h30 – 11h30 WBDC 8 S.
Tom Fitzgibbon, Directeur, MB Financial Com Dev Bank
Hedy Ratner, Directeur, Womens’ Business Development Center
- Centre d’accompagnement des créateurs d’entreprise
- Relations avec les banques et banques sociales
13h30 - 16h30
La carte de crédit
J.P. Morgan Chase / Chase USA 201 North Walnut St,
Peter Dormont, Responsable de risque, Chase USA
Helen M. Stewart, Responsable Community Development & Compliance
- Automatisation d’engagement et scoring comportemental
- L’effet des marchés ABS
- Gestion des risques
- Prix et programmes pour clients modestes
12h00 – 15h30
Le crédit immobilier
Freddie Mac
Peter Zorn, VP Housing Analysis and Research ;
Frank Nothoff, Chief Economist
- Présentation des mécanismes de titrisation des crédits immobiliers
- Méthodes de supervision des risques, notation des prêteurs
- Programmes en faveur d’accession des LMI
- Le coût de risque des emprunteurs LMI
13 :30 – 16h
Politiques de régulation & nouveaux marchés urbains
Mark Pinsky, CEO NCCA
John Taylor, CEO, NCRC
Dr. Patricia McCoy, University of Connecticut Law School
Eugene Ludwig, Directeur Promotory Capital et ex Comptroller of the Currency
James Carr, Directeur Fannie Mae Foundation
Pari Sabety Brookings Inst.
Doug Woodruff Bank of America
Buzz Roberts, Director, National Policy initiatives, LISC
14h30 – 17h00
La plus grand banque de community development
ShoreBank
Ron Grzywinski, CEO
Jennifer Tescher , CEO,
Center for Financial Innovation
- Présentation de la banque
- Produits et marchés
- Nouveaux produits
- Réalisations dans le quartier
11h30 – 14h30
Les accords « CRA » à Chicago
Woodstock Institute,
Marva Williams, Director Woodstock Institute
Institutions de la Chicago CRA Coalition
- L’accord CRA avec JP Morgan Chase
- Modalités de supervision et de collaboration