b. Spécificité des représentations professionnelles

Dans la mesure où nous nous intéressons aux représentations d’aidant-e-s professionnalisé-e-s, l’ensemble de représentations auxquelles nous nous intéressons peut être qualifié de représentations professionnelles :

‘« Les rapports de travail structurent les interactions et ont pour conséquence la construction d’un système de représentations professionnelles. » (Lorenzi-Cioldi, cité par Blin, 1997, p. 79)’

Dans cette perspective, le système de représentations professionnelles se caractérise ainsi :

‘« (…) un retour à la définition première s’impose : “Les représentations professionnelles sont des représentations sociales portant sur des objets appartenant à un milieu professionnel spécifique et partagées par les membres d’une même profession.” [Piaser, 1999] (…) Les représentations professionnelles constituent une classe particulière de représentations sociales par deux caractéristiques qui les spécifient : les groupes porteurs et les objets concernés appartiennent à la même sphère d’activité professionnelle. » (Piaser & Bataille, 2008, à paraître)9

Les représentations professionnelles sont en ce sens des représentations reliées à un ensemble d’expériences variées (d’autant plus si l’expérience professionnelle est longue), et dont la fonction est importante sur les plans cognitif et affectif. En effet, les représentations sociales, de manière générale, ont une fonction d’orientation et d’organisation des conduites et des communications (Jodelet, 1989), elles jouent un rôle dans l’économie cognitive et psychique des sujets, comme dans la dynamique des rapports sociaux. D’après Serge Moscovici et Georges Vignaux, « les représentations jouent toujours ce triple rôle d’éclairage (donner du sens aux réalités), d’intégration (incorporer les notions ou les faits nouveaux aux cadres familiers) et de partage (assurer les sens communs en lesquels se reconnaîtra une collectivité donnée). » (1994, p. 26).

La pratique professionnelle, quelle qu’elle soit, mobilise d’importantes ressources cognitives et l’investissement du rôle (que l’implication soit forte ou pas) soulève nécessairement des conflictualités psychiques (ne serait-ce que par les contraintes liées à l’exercice professionnel), et parfois des conflits interpersonnels que le sujet doit résoudre, ou a minima contenir. Bref, la pratique professionnelle génère une activité intense, sur tous les plans, et les représentations professionnelles participent de la régulation de cette activité. Leur contenu, leur organisation, leur dynamique sont intimement liés aux différents problèmes qui ont à être résolus ou évités dans le cadre d’un exercice professionnel. Elles sont donc une source d’information sur les enjeux suscités chez un sujet et/ou un groupe social par rapport à un objet source d’interactions sociales. Cet aspect est mis en avant ici :

‘« Le cadre théorique des représentations sociales (…) fournit un modèle pour penser les régulations opérées par les insertions spécifiques des individus dans un ensemble de rapports symboliques et sociaux (Doise, 1992) et mettre à jour les systèmes de régulations symboliques liés à un objet (Jodelet, 1989). » (Dany, Cannone, Dudoit & Favre, 2005, p. 59)

C’est dans cette mesure que l’étude des représentations peut révéler certains des enjeux intrapsychiques, psychosociaux et/ou sociétaux à l’œuvre dans une situation donnée. L’intérêt de cet étayage théorique serait bien mince s’il s’agissait seulement de décrire le contenu et la dynamique de l’univers de pensée des aidant-e-s : nous espérons pouvoir, à partir de l’exploration de ce système de représentations, en tirer des éléments d’analyse sur les enjeux susmentionnés. Cette perspective est ainsi tracée par Guy Rocher :

‘« Faire appel aux acteurs et à leurs représentations, c'est cependant ouvrir deux voies d'investigation, dans deux directions différentes mais complémentaires. L'une mène à s'interroger sur les motivations personnelles des acteurs, sur leur perception particularisée, sur les rationalités et les irrationalités intimes qui les animent. C'est la voie de la recherche des fondements psychologiques des représentations sociales. L'autre porte son regard sur le contexte social des acteurs, dans lequel et par rapport auquel ils agissent, qui favorise ou contraint leur action. » (2002, p. 88) ’

Il précise ensuite que ces deux voies peuvent être explorées de manière parallèle dans les recherches empiriques, ce que nous tenterons de faire, tout au long de cette recherche.

Notes
9.

Version française d’un chapitre d’ouvrage à paraître en anglais, aimablement transmise par Michel Bataille.