Le terme de charité, issu du mot latin caritas signifiant amour du prochain20, est actuellement défini comme « vertu qui porte à vouloir et à faire du bien aux autres » (Dictionnaire Larousse). Mais qu’en est-il de ce concept de caritas à l’époque où il a émergé ? Selon Eberhard Schockenhoff :
‘« Le concept de caritas relève du champ sémantique latin des termes amor, dilectio et amiticia ; à l'origine, il désigne l'amour de l'homme pour Dieu, par opposition à l'amor naturalis, considéré comme une tendance fondamentale et naturelle de l'être. Par sa racine étymologique caro (cher), il désigne aussi l'aspect affectif de l'amour. (...) Dans ce contexte biblique, le concept de "charité" est chargé d'une triple signification : il désigne l'amour créateur et rédempteur de Dieu pour l'homme, l'amour voué, en réponse, par l'homme à Dieu et, inclus dans cet amour-là, l'amour que se portent mutuellement les êtres humains. » (2004, p. 282)’On voit en premier lieu que, par rapport à la raison (ergon) privilégiée dans l’antiquité grecque, l’attitude éthique vis-à-vis d’autrui s’appuie, ici, davantage sur la dimension affective, et surtout, qu’elle est pensée dans un rapport à Dieu. Pour éclairer davantage la notion de charité, nous allons faire un détour par le concept d’agapè, qui permet de comprendre plus précisément ce qu’il en est de cet « amour du prochain » prescrit par la charité. Dans l’article agapè de l’Encyclopædia Universalis, on trouve que :
‘« Le mot grec agapè signifie affection, amour, tendresse, dévouement. (…) Généralement, la langue profane emploie agapè pour désigner un amour de parenté ou d’amitié, distinct de l’amour-passion, distinct du désir amoureux. (…) le concept d’agapè reçoit une promotion soudaine quand certains auteurs du Nouveau Testament l’adoptent et le rendent synonyme d’amour chrétien. Dans ce contexte, agapè signifie soit l’amour condescendant et gratifiant de Dieu pour les hommes, soit l’amour inconditionné, le dévouement absolu que les chrétiens doivent avoir pour autrui, quel qu’il soit. » ’Ainsi, le mot agapè, issu de la langue grecque antique au sein de laquelle il a une importance mineure21, prend une toute autre dimension lorsqu’il est repris par les premiers chrétiens. En effet, il permet de nommer l’amour que les chrétiens doivent porter à autrui ; cet amour diffère de eros, qui désigne le sentiment amoureux, et de philia, qui désigne l’amitié ou plus largement un lien affectif privilégié à l'autre, ainsi que le souligne André Comte-Sponville dans son Dictionnaire philosophique (2001). Agapè est défini comme « un amour de bienveillance, de prévenance, de courtoisie, un amour oblatif et désintéressé » (Encyclopaedia Universalis) , il s'agit donc d'un amour “universel” pour tous les autres êtres humains, amour qui conserve tout de même une certaine neutralité, car distinct de la passion et de l’amitié, et également réparti entre les membres de l'humanité : une neutralité bienveillante? La charité définit une éthique du rapport à autrui, quel qu’il soit : cette éthique prescrit une bienveillance à l’égard de l’alter ego (vouloir son bien) – que celle ou celui-ci nous soit connu ou inconnu, antipathique ou sympathique – sans attendre de retour puisque la charité se veut “pur don”, c’est-à-dire désintéressée.
L’investigation menée autour de la notion de charité nous a par ailleurs amenée à remarquer que l’acte de charité est envisagé, dans les écrits bibliques, comme visant le lien à Dieu, et ce, selon trois modalités alternatives.
Dictionnaire étymologique Larousse 2001 : « emprunté, à l'époque carolingienne, au latin ecclésiastique Caritas, amour du prochain, spécialisation au sens classique de "affection", de carus, cher. »
Dans la civilisation grecque antique, ce qui est valorisé, c’est l’autonomie : se dévouer pour autrui n’est donc pas une valeur importante et positive dans les morales développées dans la Grèce antique.