c. Où l’assistance devient (en partie) un devoir de l’Etat vis-à-vis des citoyen-ne-s

Dans la Modernité, l’aide à autrui prend un sens différent : on passe d’une éthique de la charité à une éthique humaniste, une nouvelle compréhension du monde et de la place qu’y occupe “l’Homme” émerge, comme nous l’avons vu précédemment. L’organisation des secours aux pauvres, aux malades et aux handicapé-e-s se transforme pour devenir, en partie, l’une des missions de l’Etat. Cette mission correspond, comme l’indiquent Colette Bec et Yves Lochard, au droit, pour les citoyen-ne-s, d’avoir des moyens de subsistance :

‘« Le décret du 19 mars 1793 déterminant les bases des secours publics reconnaît le « droit » de tout homme à sa subsistance par le travail, s’il est valide ; par les secours gratuits, s’il est hors d’état de travailler. » (1989, p. 46)’

La logique qui sous-tend l’assistance est donc profondément modifiée : le courant humaniste et la Révolution française bouleversent les structures sociales et culturelles antérieures. La laïcité de l’Etat est affirmée. Dans ce cadre, l’assistance aux pauvres est définie comme une mission d’Etat par la loi du 28 juin 1793, mission contenant l'organisation des secours pour les enfants, les vieillards et les indigents. Dans son chapitre IV, Des agences de secours, article sept, nous trouvons :

‘« Les fonctions des agences seront de différentes des espèces. Elles consisteront : 1 -- à distribuer, chaque trimestre, aux personnes portées dans les rôles de chaque municipalité, les secours qui leur auront été assignés, à en surveiller l'emploi, à examiner si les pensions ne sont point détournées de leur destination, à assister ces citoyens dans leur maladie, à assurer des secours de l'officier de santé : toutes ces dernières fonctions seront particulièrement confiées aux citoyennes. 2 -- à déterminer, d'après les demandes des municipalités de l'arrondissement, les travaux qui devront être faits chaque année ; à en indiquer la nature, l'étendue et le lieu où ils seront exécutés, et à surveiller ceux qui y seront employés. » (Cité par Comiti, 2002, p. 292)’

Ceci donne une idée de l’esprit dans lequel les secours sont attribués : la répression est moindre, mais le contrôle du devenir des secours et la valeur du travail restent présents. Cette loi aboutit à la création des « bureaux de bienfaisance », premières structures d’Etat à apporter une assistance aux citoyen-ne-s. Alain Borderie nous explique que :

‘« Les bureaux de bienfaisance ont été instaurés dans chaque commune de France par la loi du 7 Frimaire An V (27 Novembre 1797). Ils étaient financés par une taxe sur les spectacles, le « droit des pauvres ». Ainsi est née une forme laïque de l’assistance en lieu et place de l’enfermement dans des hôpitaux généraux à la charge des grandes villes, et de la charité à l’initiative des autorités religieuses. » (2006, p. 11)’

Il décrit également comment s’organise tout d’abord l’activité de ces bureaux :

‘« Au début, les établissements de bienfaisance créent des soupes populaires, répartissent les indigents entre les familles aisées qui seront chargées de leur entretien. (...) Pour les secours en argent, les bureaux tiennent un fichier divisé en deux parties, l’un pour les indigents secourus temporairement, comme les chefs de familles ayant plus de trois enfants de moins de 14 ans, les veuves, les femmes abandonnées, l’autre pour les indigents secourus annuellement, comme les vieillards âgés de plus de 64 ans. » (2006, p. 31)’

C’est le début d’une longue histoire de l’assistance apportée au niveau communal : aujourd’hui, les Centres Communaux d’Action Sociale sont les héritiers de cette première mise en œuvre d’une aide citoyenne et non plus chrétienne.

La charité individuelle et institutionnelle ne disparaissent pas entièrement, elles perdurent parallèlement à l’assistance publique. Plus tard, Colette Bec et Yves Lochard témoignent du débat qui a lieu entre promoteurs de l’aide étatique et défenseurs des dons caritatifs :

‘« L’harmonisation du champ de la bienfaisance et de l'assistance avec le régime républicain inscrite dans le vaste mouvement de sécularisation de l'État et de la vie sociale (politique, laïcisation des hôpitaux, neutralisation des cimetières...), qui s'opère entre 1880 et 1914, voit s'affronter les républicains réformateurs animés de principes laïques et une opposition cléricale défendant l'Eglise des oeuvres et l'initiative privée qu'elle veut sauvegarder de toute ingérence étatique. » (1989, p. 38)’

Il ressortira de ce débat l’idée d’une coexistence de ces deux modes de secours. Si ceux-ci s’opposent à ce moment-là, nous allons voir qu’ils ne sont pas tout à fait étrangers l’un à l’autre dans la première moitié du XXe siècle.