II. Naissance et développement du travail social

a. Les prémisses du travail social

Dans cette période (1900-1965), la fameuse loi éponyme de 1901 sur la liberté d’association ouvre tout un champ de possibilités pour l’action sociale. Selon Evelyne Diebolt :

‘« C’est une période au cours de laquelle une partie de la société civile s’organise sous une forme nouvelle – l’association –, pour obtenir des pouvoirs publics la reconnaissance et le financement d’actions sociales, immédiates et concrètes (…). L’histoire des associations caritatives médico-sociales qui sont à l’origine de ce qui deviendra le “travail social” permet de poser plusieurs questions. [Dont :] celle de la place que ces associations occupent dans la structure des institutions, notamment par rapport à l’Etat et aux Eglises. » (1997, p. 268)’

Or, dans le contexte de cette loi, les congrégations religieuses sont obligées de se déclarer et se voient parfois refuser leur autorisation. Le contexte est également celui de la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican, ainsi que celui de la loi de 1905 relative à la séparation des Eglises et de l’Etat. Ainsi, de nombreuses associations visant une action sociale ont des origines religieuses (courant du catholicisme social) ; certaines se regroupent en 1923 au sein de l’Union catholique de service social (UCSS). Selon E. Diebolt :

‘« Les milieux catholiques se fixèrent alors pour objectif de maintenir et renforcer la représentation confessionnelle au sein des instances internationales du service social et affirmer ainsi une conception confessionnelle, face au courant “neutre”. » (1997, p. 273)’

Dès ses origines, le courant de l’action sociale et médico-sociale accorde une grande importance à la formation de ses intervenantes. D’après Bertrand Delaunay :

‘« Les fondatrices de ces structures d’assistances seront des femmes pionnières qui rapidement ont réalisé la nécessité de former leur personnel. Si les premières formations ressemblent à des conférences mondaines, rapidement ont été créées les premières écoles de service social : la première école de formation à Montrouge en 1902, fondation de l’Ecole Pratique de Service Social en 1908, ouverture de l’Ecole Normale Sociale à Paris en 1911 et création de l’Ecole d’Action Sociale « Pro Gallia » en 1919… » (2005, p. 18)’

Parallèlement, les années 30 voient la naissance de la loi sur les assurances sociales et sur les allocations familiales versées par les entreprises. Ces droits sociaux n’empêchent pas, pour autant, le développement de l’action sociale. En 1932, la création du brevet de capacité professionnelle de service social donne le titre « d’assistante de service social ». Cet examen d’Etat contribue à la professionnalisation du secteur médico-social, et génère par là des interrogations sur l’identité professionnelle. Selon Evelyne Diebolt, c’est la modalité caritative qui prendra le dessus :

‘« Cette relative indétermination [de la philosophie de la profession] favorise sa reprise en main idéologique par l’UCSS qui impose sa conception des valeurs du service social – vocation, bénévolat, dévouement – qui prévalaient déjà au XIXe siècle. » (1997, p. 277)’

D’autre part, dans ces prémisses de l’action sociale, « s’intéressant à l’amélioration de la condition de la femme, les pionnières ont également des liens avec les mouvements féministes. » (p. 279). La formation et la rémunération sont défendues par certaines d’entre elles :

‘« C’est dans ce but qu’elles ouvrent des écoles de formation de haut niveau. Ces femmes et leurs élèves sont à l’origine des services sociaux et des premières grandes actions sanitaires et sociales. Leurs pratiques professionnelles, hétérogènes, ont contribué à définir les réalités, les contours, et à donner un sens à ce qu’on appelle aujourd’hui le travail social. » (1997, p. 282)’

Les lois établies après la Seconde guerre mondiale (Sécurité sociale, etc.) conduiront au développement des services sociaux, qui sont encore, dans un premier temps, souvent privés, mais reçoivent régulièrement des subventions. Parallèlement à l’activité de ces “prestataires de services”, les services sociaux étatiques seront ensuite développés et les assistantes sociales deviendront progressivement fonctionnaires, dans leur grande majorité (70%), jusqu’à aboutir en 1964 à la création d’un système qui organise l’ensemble des actions sociales menées ou contrôlées par l’Etat, et qui se concrétise par la mise en place des Directions Départementales des Actions Sanitaires et Sociales (DDASS). Selon Alix Héricord et Jeanne Revel :

‘« Issues de dispositifs d’hygiène et d’assurance anciens, de nature religieuse ou bien liées à la figure classique de l’hôpital-hospice ou encore conçus selon le vieux modèle républicain et paternaliste de l’assistance, les DDASS seraient une façon pour l’État de se ressaisir d’une prolifération un peu trop spontanée, non planifiée, dans le champ du sanitaire et du social. » (2000, [6])’

Cette histoire explique pourquoi les pratiques des services sociaux d’Etat sont fortement inspirées de celles menées dans le cadre d’institutions privées lors de la première moitié du XXe siècle.