b. L’“âge d’or” du travail social

Dans sa seconde phase de développement, marquée par la professionnalisation et l’étatisation, le travail social est fondé sur des bases humanistes. Selon Brigitte Bouquet :

‘« L'après-guerre voit d'une part une inclusion éthique dans le statut officiel des assistantes sociales et d'autre part l'élaboration de leur code de déontologie. (...) Ce code de déontologie est sous-tendu par des options philosophiques humanistes fondamentales concernant la personne (...). Les années 1950 marquent une autre étape, par la conjonction de l'éthique et du case work. Issus des USA, le case work français apporte une relation d'aide qui se démarque de l'assistance, et qui s'appuie sur des savoirs, une approche technique et méthodologique, eux-mêmes sous-tendus par des valeurs. »(2004, p. 32)’

Le travail social se démarque ainsi d’une démarche caritative, au moins dans les objectifs généraux qui lui sont donnés par l’Etat. Cette distanciation tient pour beaucoup à la visée collective de bien-être social qui lui est donnée, héritée de la pensée des Lumières et de la Révolution française.

La catégorie du “travail social” se construit de manière définie dans les années 70, une identité professionnelle nouvelle se dessine dans les suites du retour du politique, de la question sociale, qui se joue à la fin des années 60. Cette catégorie, composée de trois corps professionnels – assistant-e-s de service social, éducatrices et éducateurs, animateurs et animatrices socioculturels, devient une entité significative pour ses membres comme pour le reste de la population. Comme l’indique Brigitte Bouquet :

‘« Ce sont les années 70 qui ont marqué l'évolution du secteur social dans son acception actuelle par la naissance du terme fédérateur de "travail social", pour désigner un ensemble d'interventions dispersées et contribuer à leur donner un sens commun ainsi que les débuts de la technicisation de l'intervention sociale. » (2004, p. 34) ’

Le mouvement de Mai 68, qui marque profondément ce secteur, va initier un changement dans les écoles de formation en travail social et dans les pratiques de ses acteurs. En effet, le travail social a été fortement questionné, pendant les années 70, comme en témoigne la parution, en 1972, d’un numéro de la revue Esprit intitulé Pourquoi le travail social ? Celui-ci est très représentatif de la critique formulée à l’endroit du travail social, à cette époque : celle d’avoir un rôle de contrôle social, de normalisation, et d’être un outil de reproduction des rapports de domination. Cette critique a joué un rôle crucial dans l'évolution des pratiques et des représentations à l’œuvre dans le champ du travail social, elle marque un tournant important ; ses praticien-ne-s se sont vus remis-e-s en cause et se sont interrogé-e-s sur les enjeux de leur rôle social.

Si les lois de décentralisation ont ensuite modifié l’organisation de la structure initiée avec les DDASS pour en faire progressivement une administration “sans guichet” (les compétences d’attribution des aides, par exemple, étant transférées à d’autres institutions, telles que le Conseil Général), le principe d’une action étatique s’est maintenu jusqu’à peu. La loi-cadre de lutte contre l’exclusion, votée en 1988, et le dispositif du Revenu Minimum d’Insertion (RMI) qui l’accompagne va cependant générer une transformation de cette organisation.

Actuellement, on observe un retour d’une privatisation de l’action sociale, au travers des nombreuses associations qui “sous-traitent” l’accompagnement social des populations “exclues”. A la fin des années 80, le travail social traverse un crise : de nouveaux phénomènes sociaux créent une inadéquation des pratiques établies précédemment, indexées sur la période des 30 glorieuses et ses problématiques sociales. Or ces dernières se voient renouvelées et une nouvelle logique est à l’œuvre. Alain Touraine en propose la description suivante :

‘« Nous avions pris l’habitude de nous situer les uns par rapport aux autres sur des échelles sociales, de qualification, de revenu, d’éducation ou d’autorité ; nous avons remplacé cette vision verticale par une vision horizontale : nous sommes au centre ou à la périphérie, dedans ou dehors, dans la lumière ou dans l’ombre. » (1997, p. 19)’

C’est pourquoi “l’exclusion”, et son pendant, “l’insertion” deviennent les thèmes développés dans les politiques sociales et dans les discours des praticien-ne-s du champ social. De nombreuses associations visant l’insertion (chantiers d’insertion, insertion par l’économique, insertion professionnelle) voient le jour à l’aube nouvelle du XXIe siècle, aube qui révèle qu’au sein du paysage s’est installé « le temporaire en permanence »31 : la précarité.

Notes
31.

Nous reprenons ici un slogan d’agence d’interim, qui, comme l’indique Nicolas Fieulaine (2006, p. 16), exprime bien la nature du phénomène marquant notre actualité.