Chapitre III - L’aide à autrui et son contexte

A) La société hypermoderne : de nouvelles questions éthiques à prendre en charge

Après avoir relié le champ de l’intervention sociale au contexte historique qui l’a précédé, voyons à présent quel est le contexte actuel, français mais aussi mondial, au sein duquel s’inscrit l’aide à autrui professionnalisée. Nous espérons ainsi, en situant notre objet à l’intersection de ce deux axes – l’axe historique et celui du contexte actuel, faire apparaître ses coordonnées : le contexte dans lequel il s’ancre et les enjeux qui le traversent.

Il apparaît comme essentiel de relier l’étude de l’aide à autrui au contexte qui les entoure : comment comprendre sans cela les pratiques et représentations mises en œuvre par les intervenant-e-s de l’aide professionnalisée ? Les conduites de ceux et celles-ci, le sens qu’elles prennent, sont intimement liés aux enjeux qui traversent l’ensemble sociétal. A la limite, on peut considérer, comme Yves Barel, le travail social comme l’un des creusets où s’élaborent les socialités requises par le contexte :

‘« C’est l’occasion d’évoquer la représentation, la plus large possible, que je me fais du travail social : non pas ou non plus simple travail d’assistance ou de prise en charge du social par opposition à l’économique, mais lieu de production, parmi d’autres, du social, c’est-à-dire  des socialités, des rapports sociaux et interindividuels, et de la société elle même en définitive. » (1982, p. 23)’

Les pratiques d’aide peuvent ainsi être comprises à la fois comme révélatrices des formes de socialité à l’œuvre dans l’hypermodernité, et comme participant de leur production.

Nous avons commencé à souligner le fait que des phénomènes spécifiques se font jour à la fin du XXe siècle (étant entendu que chaque époque est traversée par des problématiques propres liées aux conditions sociales, culturelles et économiques qui la caractérisent) ; parmi ceux-ci, “l’exclusion” concerne plus particulièrement le champ des pratiques d’aide à autrui. Nous expliquerons pourquoi nous préférerons la notion de précarité à celle d’exclusion, en décrivant brièvement ce qui se joue autour des processus de précarisation. Ensuite, nous tenterons d’avancer dans la compréhension des phénomènes et enjeux à l’œuvre dans la société française en les situant dans le contexte plus large des évolutions sociales et culturelles qui marquent la “mondialisation”, ou globalisation des échanges économiques mais aussi culturels. De cette manière, nous tenterons de mettre en lumière ce qui se joue dans la société française (et qui concerne également un certain nombre d’autres sociétés des pays dits “occidentaux”), les mutations qu’elle connaît et qui indiquent, comme l’analysent un certain nombre de travaux, le passage de la modernité à l’hypermodernité.

Par ailleurs, nous tenterons de mettre en évidence qu’à ce contexte, en partie lié à une nouvelle préoccupation pour l’intériorité, correspond la figure de “l’individu hypermoderne” (Aubert, 2004) ; le “canon esthétique”33 auquel est rapporté cette figure prenant comme critère la réalisation de soi en tant que norme à atteindre.

Dans un troisième temps, nous verrons que, en rapport avec ces évolutions sociales, émerge une proposition de philosophie morale : celle de l’éthique du care. Celle-ci se voit-elle reprise par les aidant-e-s du champ de l’intervention sociale ?

Notes
33.

Cf. « l’esthétique de l’existence » foucaldienne (1984, p. 18).