B) Cadres sociaux et spécificités de l’interaction aidant-e/aidé-e

Partant du contexte général examiné précédemment, nous voyons qu’à l’hypermodernité correspondent des dynamiques sociales et culturelles qui interrogent nécessairement les fondements du travail social, tel qu’il s’est constitué puis développé au cours du XXe siècle. Nous avons jusqu’à présent porté notre intérêt sur des aspects macrosociaux. Or, dans une perspective psychosociale, nous visons à articuler, dans l’analyse du phénomène qui nous intéresse, la dimension sociale à la dimension individuelle, toutes deux s’intriquant dans les pratiques d’aide et les représentations professionnelles qui leur sont associées. Pour parvenir à une compréhension des modalités selon lesquelles les enjeux socioculturels s’expriment dans une interaction donnée, et réciproquement, à étudier comment les dynamiques intrapsychiques et interpersonnelles influencent la construction sociale de la réalité, il nous faut à présent recentrer notre attention sur les particularités de la situation d’aide à autrui.

Nous ne pouvons avancer sur ces questions sans disposer préalablement d’un outillage théorique qui permettent d’analyser les enjeux spécifiquement à l’œuvre dans l’interaction aidant-e/aidé-e : afin de pouvoir relier la dimension individuelle du bricolage que chacun-e opère à la dimension socioculturelle, il nous faut pouvoir penser ce qui se produit dans l’interaction, puisque après tout, c’est dans celle-ci que se déploient les modalités que le sujet emploie pour s’accommoder du monde qu’il trouve et crée à la fois. Nous allons donc faire appel aux modèles théoriques qui peuvent constituer des analyseurs 49 de la situation particulière que constitue l’interaction aidant-e/aidé-e.

En premier lieu, cette interaction constitue une situation où, au-delà de la communication, se développent des échanges sociaux, en tant que circulation de biens matériels et/ou symboliques. L’aide, qu’elle prenne la forme d’une mise à disposition des compétences de l’aidant-e ou de biens matériels (locaux, ordinateurs…) pour concourir au mieux-être de l’aidé-e, ou la forme d’une transmission de richesses (aides financières) ou de connaissances, est le lieu d’échanges de nature diversifiée. Nous allons voir que ces échanges peuvent s’organiser selon différents régimes, que nous comprenons comme des cadres sociaux de l’échange de biens matériels et symboliques.

Ensuite, nous allons voir sur quelles bases peut s’organiser l’interaction, en fonction de la “philosophie”, au sens de signification générale, d’arrière-plan idéologique, dans laquelle les aidant-e-s peuvent inscrire leur action.

Enfin, nous explorerons les processus qui sous-tendent la possibilité d’une préoccupation pour autrui, puisque la volonté d’apporter une aide s’appuie, au-delà de la dimension morale, sur l’actualisation de cette préoccupation dans la rencontre de l’autre – ce qui correspond aux conditions de possibilité de l’éthique postérieure, en tant qu’insertion de l’éthique antérieure et de la morale dans une situation donnée (Ricœur, 2004).

Notes
49.

Nous utilisons le terme d’analyseurs (« appareil qui sert à l’analyse », selon le Trésor de la langue française) pour désigner les appareils théoriques qui nous semblent pertinents pour analyser ce qui se produit dans l’interaction aidant-e/aidé-e.