d. Relation de service et schéma de réparation

Erving Goffman, dans Asiles (1968), s’intéresse aux « métiers réparateurs » et introduit la notion de relation de service, celle-ci se déroulant dans le champ de la socialité secondaire. Dans ce “cadre social”, l’interaction se structure autour de l’échange d’un service, qui organise la relation entre « client » et « réparateur ». La relation de service se caractérise par une organisation autour de trois pôles :

D’autre part, l’interaction qui s’organise autour de la visée de réparation comporte trois aspects :

‘« (…) une partie "technique" : renseignements reçus ou donnés sur la réparation (ou la construction) envisagée ; une partie "contrat" : indication approximative et en général pudiquement écourtée du coût du travail, des délais nécessaires et autres détails ; enfin une partie "civilités" : échanges de politesses accompagnés de quelques amabilités et marques de respect. » (Goffman, 1968, p. 383)’

Les pratiques d’aide développées dans le champ de l’intervention sociale peuvent être mises en rapport avec ce cadre d’analyse, mais pour en démontrer, comme le soulignent Christian Laval et Bertrand Ravon, la spécificité :

‘« Ce qui caractérise la relation d’aide, c’est l’impossibilité de traiter les trois composantes (technique, contractuelle et civile) de la relation sur des plans isolés les uns des autres ou dans des temps différents : il est en effet impossible de dissocier le « client » de l’ « objet défectueux », de même qu’il est impensable de construire un diagnostic isolé de ce qui se passe dans la rencontre elle-même entre l’intervenant et l’usager. » (2005, p. 242)’

Par ailleurs, les pratiques d’aide s’inscrivant dans le champ de l’intervention sociale ne correspondent pas à un « service personnalisé », où le client rémunère l’acte de réparation, mais s’inscrivent dans un contexte institutionnel, et l’institution constitue, d’une certaine manière, un quatrième terme par rapport aux trois pôles précédemment décrits. Ceci conduit à la configuration suivante : « ces personnes ne sont plus que des sujets de son travail et non ses clients » (Goffman, 1968, p. 379). Dans ce cas particulier, l’organisation qui sous-tend les pratiques doit alors être intégrée au cadre d’analyse, comme l’indique Anni Borzeix :

‘« Certes, ainsi comprise, la relation de service met en contact, physique ou non, des personnes. Mais celles-ci sont « prises » dans la gangue des « agencements organisationnels » (Girin, 1995). Leur interaction, ses lieux, ses moments, ses formes, ses supports, sont autant d’objets empiriques à décrire. » (2000, p. 45)’

Nous prenons donc note de cette remarque pour la suite de notre travail, et prêterons attention aux aspects organisationnels, qui participent des pratiques développées dans le champ de l’intervention sociale. Cette approche du schéma de réparation goffmanien nous a permis de saisir certaines des spécificités de l’interaction aidant-e/aidé-e, mais aussi de voir que la relation de service constitue une modalité possible d’organisation des échanges dans le champ de la socialité secondaire, un “cadre social” qui peut soutenir les jeux de rôle sur la scène publique d’une institution à vocation sociale : les aidant-e-s font-ils appel à ce cadre, dans leurs pratiques et dans le sens qui leur est donné au travers du système d’interprétation que constituent les représentations professionnelles ?

Nous visons à explorer, au travers du point de vue de celles et ceux qui travaillent au sein d’institutions ayant dans leur objet l’aide à autrui, les modèles et les conceptions sur lesquels s’appuient leurs pratiques. Par rapport à la question de l’aide à autrui, il nous a paru pertinent d’interroger des aidant-e-s professionnalisé-e-s57, car ils/elles se situent à cette interface des échanges par le don et contractualisés. En tant qu’acteurs spécifiques de l’aide à autrui s’ancrant dans un contexte institutionnel, leur regard nous permettra d’explorer comment se pense et s’organise l’aide à autrui dans le contexte actuel.

Différents travaux se sont précédemment intéressés à cette question, et nous allons à présent en rendre compte. Ceux-ci proposent une analyse des différentes “philosophies”, en tant que significations générales données aux pratiques d’aide, à l’œuvre dans le champ de l’intervention sociale. Ils décrivent différents systèmes de pensée, que nous pouvons envisager comme des idéologies (au sens étymologique, sans connotation péjorative) contribuant à générer les représentations professionnelles des aidant-e-s, et à organiser leur interaction avec les aidé-e-s.

Notes
57.

Plutôt que des bénévoles qui se situent davantage dans le registre du don.