II. Analyses des “philosophies” de l’aide dans le champ de l’intervention sociale

a. Modèle caritatif et modèle de la militance

Paul Fustier (2000) propose une analyse des pratiques des intervenant-e-s sociales, et de la signification qu’elles prennent pour elles/eux, où il distingue le modèle caritatif du modèle de la militance. Le sens donné à l’aide diffère selon que les praticien-ne-s s’inscrivent dans l’un ou l’autre modèle. Ces modèles peuvent orienter les pratiques, à un niveau individuel, mais la référence implicite à l’un ou l’autre modèle est également souvent déterminée, à un niveau institutionnel – dans les statuts d’une association, par exemple.

Le modèle caritatif est, selon lui, caractérisé par l’interprétation des échanges selon un régime d’échange par le don horizontal, entre un donataire et un donateur qui sont différenciés l’un de l’autre. L’échange est “horizontal” car le cycle du don s’établit et demeure entre le donateur et le donataire :

‘« Le praticien social en position caritative A donne à B en position de donataire, mais B lui “rend” des contre-dons. » (2000, p. 155)’

Dans ce “cas de figure”, l’aidant-e aura tendance à attendre qu’un contre-don de l’aidé-e lui soit adressé. Par ailleurs, Paul Fustier repère que dans les pratiques de “type caritatif”, l’intervenant-e vise à donner ce dont il ou elle a bénéficié à d’autres personnes qui ne l’ont pas eu, et à qui cela manque (amour, argent, savoir…). Un tel positionnement crée une différenciation sur la base de la perception de l’aidé-e “en creux”, comme sujet auquel il manque quelque chose – quelque chose dont l’aidant-e a au contraire bénéficié.

Le modèle de la militance conduit par contre à une interprétation du cycle du don selon un échange vertical : le contre-don ne doit pas être rendu à l’aidant-e, mais à une tierce personne auprès de laquelle l’aidé-e s’acquitte de sa dette, selon le mode de la transmission entre générations. Par ce processus, le donataire devient donateur et change de position, il acquiert un statut différent (ce modèle est illustré, par exemple, par l’association des Alcooliques Anonymes). Par ailleurs, le modèle de la militance est fondé par le sentiment d’une similitude entre le donataire et le donateur :

‘« C’est de similitude dont il est question, de cette similitude qui se construit à partir d’une souffrance ou d’un traumatisme commun, et qui devient ici moteur de l’action. » (2000, p. 153)’

Ainsi, pour le travailleur social dont la pratique est référée (explicitement ou non) au modèle de la militance, l’identification à la personne qui le sollicite est un élément important : la communauté de destin (qui peut tout simplement reposer sur l’idée du partage de la condition humaine) justifie son action. C’est davantage au sein de ce cadre de référence que s’inscrit la notion de solidarité, puisque celle-ci soutient une identification à l’autre.

La relation à l’autre en tant qu’alter ego, ou en tant que personne différente en ce qu’elle manque ou a manqué de quelque chose, apparaît ainsi comme une clé de lecture fondamentale pour comprendre le positionnement des intervenant-e-s du champ social. En effet, nous pensons que les implications de ce rapport à l’autre en tant qu’alter ego, ou en tant qu’être différent de soi sont nombreuses, ce que nous aurons l’occasion de développer ultérieurement, lors de l’analyse de nos données.