b. Une démarche à visée compréhensive

Partant du cadre épistémologique tracé précédemment, une telle démarche ne peut fonctionner sur les bases de la recherche hypothético-déductive : dans la mesure où il y a une visée de mise en travail de la subjectivité, le cadre d’analyse doit rester ouvert et évolutif, afin de permettre un aller-retour entre les observations faites et la compréhension qui peut en être produite. La première partie de ce travail nous a amenée à tracer des axes de recherche et à formuler une hypothèse générale que nous ne chercherons pas à opérationnaliser avant la première phase d’investigation : la démarche suivie est de type inductif, et repose sur une approche qualitative. Comme le souligne Jean Poupart :

‘« Dans ce type de recherche [qualitative], le terrain d’étude n’est pas pré-structuré, ni opérationnalisé d’avance. Le chercheur se doit de se plier aux conditions particulières du terrain et d’être à l’écoute des dimensions qui pourraient s’avérer pertinentes. Même s’il doit élaborer une problématique de recherche qui cerne bien son objet d’étude et critiquer les présupposés théoriques sous-jacents à toute recherche, le cadre d’analyse de son étude ne lui est pas fourni d’emblée : il s’élabore en cours de route par le questionnement incessant des données. Le schéma d’analyse s’effectue donc en cours et en fin de recherche. » (Poupart, 1981, p. 426) ’

Ainsi, les hypothèses de travail plus fines ne seront formulées qu’à l’issue d’un premier temps d’investigation ; elles seront donc ancrées dans les observations réalisées, et pas seulement dans le cadre d’analyse théorique développée dans la première partie de ce travail.

Du fait de cette démarche, notre approche de notre objet de recherche a beaucoup évolué, au fil de cette investigation. Par exemple, si nos premières pistes de recherche concernaient principalement, voire uniquement, les enjeux relationnels, nous avons petit à petit élargi le champ d’investigation au contexte dans lequel s’inscrit l’interaction entre aidant-e et aidé-e, jusqu’à nous intéresser à l’arrière-plan culturel, sociétal et historique sur lequel se dessine leur rencontre. La première phase de recueil de données a été décisive de ce point de vue.

Si l’ensemble de la démarche est inductive, et par conséquent plus exploratoire (moins centrée et opérationnalisée dans le temps de recueil des données) qu’une démarche hypothético-déductive, nous différencions tout de même une phase exploratoire de recherche, menée au tout début de ce travail de doctorat (en 2003), d’une seconde phase de recueil de données conduite sur une population plus large (en 2006-2007). La phase exploratoire, tout en ayant un statut informatif, se caractérise alors par sa fonction de validation de la méthodologie de recueil et d’analyse des données, qui est dans ce temps particulièrement évolutive. Elle sert dans le même temps à repérer les principaux axes de résultats qui se dessinent dans le corpus, afin de voir si cette structure se reproduit dans le second corpus. Enfin, elle oriente la conduite de la seconde phase d’investigation, car les hypothèses peuvent être développées, sur la base des observations réalisées, et se décliner sur des points plus précis qu’il s’agit de confirmer ou d’explorer lors du second temps de recueil de données.

Comme l’affirme Martin Drapeau :

‘« L’avantage de la recherche qualitative est de reconnaître l’aspect subjectif comme faisant partie intégrante de la recherche. À mesure que la recherche progresse, l’idée d’origine est réadaptée à la réalité de l’objet d’étude et se précise, se définit et se solidifie, en s’appuyant sur la réalité évolutive de la problématique. » (2004, p. 125)

Ainsi, la construction du modèle d’analyse est progressive, et la méthode d’investigation employée, pour permettre cet aller-retour, garde tout au long de la recherche un caractère exploratoire en ce que le recueil des données vise à une sélection minimale par le/la chercheur-e (même s’il y a nécessairement une sélection) des données retenues, pour laisser une part plus grande, dans cette sélection d’informations, aux acteurs auxquels nous nous intéressons. L’intersubjectivité, en tant qu’intelligibilité commune, visée dans cette démarche de recherche commence par le déploiement d’un espace qui rend possible l’intersubjectivité entre observateur et observé, dans le sens d’une visée de compréhension du point de vue subjectif de l’observée par l’observatrice. Cette rencontre intersubjective ne peut avoir lieu que si les participant-e-s sont en mesure d’exprimer leur point de vue, subjectif et complexe, notre rôle en tant que chercheure étant compris comme la tentative de les rejoindre “sur leur terrain” (au sens propre comme au figuré !), pour dans un premier temps essayer d’adopter le regard qu’ils ou elles posent sur le monde qui les entoure, autant que faire se peut. C’est dans un second temps seulement, celui de l’analyse des données, que nous “réduirons” et “ordonnerons” volontairement81 l’ensemble des données recueillies. La méthode du questionnaire ne peut donc convenir, puisqu’elle correspond à un cadre précis, trop resserré au regard de l’objectif de cette recherche, objectif d’exploration et de compréhension des significations déployées par les intervenant-e-s sociaux dans le cadre de leur pratique, et plus précisément en lien avec la notion d’aide. Nous avons donc choisi le recueil de productions langagières auprès d’un nombre restreint de participant-e-s, mais qui ont la possibilité de développer leur pensée dans le cadre d’un entretien conduit de manière peu directive.

Notes
81.

L’ordonnancement et la réduction des informations s’opère également dans le premier temps, mais de manière involontaire, du fait des limites de la perception, de la sélection et de l’organisation automatiques et inconscientes liées à nos catégories de pensée, etc. Néanmoins, la place plus grande laissée aux acteurs dans le choix des aspects à évoquer au sujet d’une question donnée ouvre davantage l’espace d’intersubjectivité.